La surexploitation au cinéma : Le cas Fast and Furious

Fast and furious

Y a-t-il trop de Fast and Furious ?

En 2019 (avant l’arrivée de la crise sanitaire qu’on ne présente plus), les dix premières places de l’année au box-office sont occupées par des franchises, dérivés ou remakes. On y retrouve 7 films Disney, Spider-Man: Far From Home (Sony), Joker (Warner Bros) et Fast & Furious: Hobbs and Shaw (NBC). En dehors de la Chine, Avengers Endgame récolte 2,8 milliards de dollars dans le monde, battant alors le record d’Avatar de James Cameron.

Fast and Furious, un bon exemple de surexploitation

En 2019, il y a eu 213 millions de spectateurs dans les salles de cinéma en France selon le CNC. Un record historique, prolongé dans le monde avec 42,5 milliards de dollars selon le cabinet Comscore. Derrière les chiffres qui montrent des spectateurs toujours de plus en plus nombreux, se cache une réalité plus oppressante. Et surtout moins positive qu’une supposée victoire pour le cinéma.

On pourrait penser que les chiffres élevés sont une bonne nouvelle pour l’expérience en salle qui fait face à ses plus grands prédateurs comme les plateformes VOD. Mais au final, un ennemi encore plus grand rôde tapis derrière ces chiffres. La surexploitation d’un univers cinématographique est nocive pour l’état général du cinéma. Et ce n’est pas Fast and Furious qui dira le contraire.

Fast and Furious 9, Vin Diesel et Michelle Rodriguez regardent de haut

La peur du temps

Entre un modèle de création et un diktat, les chiffres montrent parfaitement la domination quasi mondiale des franchises. Qu’est ce qu’une franchise ? Un terme très proche de la série télévisée. Il s’agit d’une série de films dérivés autour d’un même univers. Il existe deux sortes de franchises. Celle qui sont programmées dès le départ (l’exemple parfait reste les adaptations des sagas littéraires comme Harry Potter). Et les franchises naturelles qui surviennent après le succès d’un film (spin-off/prequel/sequel…).

Que ce soit pour le cinéphile ou pour une personne voulant tout simplement s’aérer l’esprit et aller au cinéma de temps en temps, il est de plus en plus difficile de faire son choix à une époque où plus de vingt films sortent au cinéma et sur les plateformes chaque semaine. Les grands studios enchaînent les films et développent des franchises qui ne se finissent jamais. Le spectateur ressent une peur que l’on peut caractériser en deux étapes. Premièrement, une peur qui touche les cinéphiles qui tentent de rattraper les années de cinéma derrière tout en restant cultivés sur l’actualité cinématographique. Et deuxièlement, une peur qui touche ceux qui regardent des films de temps en temps, car perdus dans un catalogue à n’en plus voir le bout.

La révolution du streaming

Malgré la dizaine de films qui sortent dans les salles chaque semaine, c’est l’arrivée massive des plateformes VOD qui accentue cette peur : des plateformes comme Netflix ou Amazon Prime Video sortent des productions originales chaque mois (pas uniquement un catalogue de films qui sont déjà sortis auparavant).

Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut les diaboliser puisqu’elles permettent de rattraper des films que nous n’avions pas pu voir, mais aussi de parfois produire des films de grands réalisateurs qui ne parviennent pas à trouver un financement classique (comme Martin Scorsese avec The Irishman, Alfonso Cuaron avec Roma, Spike Lee avec Da 5 Bloods…).

Fast and Furious 9, Vin Diesel et Michelle Rodriguez regardent de haut

Multiplexes contre art et essai

Il existe une oppression sadique et à sens unique que peu de personnes semblent connaître. Celle des majors envers les salles de cinéma. En plus de vouloir être présents sur le plus d’écrans possibles en France et dans le monde, certains films peuvent être programmés dans des cinémas arts et essai en obtenant le label (comme Joker). Cedi est dramatique, étant donné la place qu’ils occupent déjà dans les multiplexes… Evidemment, on pourrait blâmer les exploitants de ces cinémas d’art et essai. Mais ils doivent également attirer un public et élargir leur offre s’ils veulent survivre.

Mais la domination va plus loin que cela. Les majors exercent une pression sur les exploitants qui ne peuvent toujours refuser les demandes par peur de représailles derrière (un probable boycott lors de la sortie du prochain film, ou jouer du « pourcentage de recettes » qui est l’équivalent du pourboire mais de la part des studios envers les exploitants). Ils sont alors obligés de passer leurs films aux plus de séances possibles par jour malgré l’incohérence de certains choix, comme la projection d’un film d’animation Disney à 22h. 

Des blockbusters de plus en plus majoritaires

Cette guerre interne est invisible du point de vue du spectateur. Celui-ci observera plus aisément dans quelques années les conséquences de ces surexploitations sur la diversité des sociétés de production qui risquent de se réduire. Deux cinémas vivent côte à côte, et la cohabitation entre les deux peut risquer de se briser sous peu.

On pourrait se plaindre aujourd’hui d’une offre trop élevée (une moyenne de 62 films par mois en 2019). On se plaindra sans doute dans un futur proche d’une offre limitée par la diminution des sociétés de distribution et le manque de diversité des films proposés. Dans le pire des cas, il n’y aura plus que des blockbusters et des suites de films. Dans le meilleur des cas, il ne restera plus qu’une ou deux grandes sociétés indépendantes pour faire face aux majors.

Le spectateur : juge suprême

Les spectateurs sont composés de personnes qui aiment à la fois les films d’auteurs et un cinéma du divertissement. Deux possibilités qui existent aujourd’hui et qui font comprendre qu’il faut parfois laisser exister des extrêmes pour satisfaire tout le monde. C’est toujours le public qui décide de l’état du cinéma, il a le dernier mot peu importe les circonstances. La preuve dernièrement avec le film J’accuse de Roman Polanski. Il parvient à être un des plus grands succès de l’année 2019 au box-office en France, en plus d’obtenir trois Césars (dont celui de la meilleure réalisation) et le Grand Prix à la Mostra de Venise. Et cela, malgré les accusations portées à l’encontre du réalisateur.

Nous vivons dans une culture de l’immédiateté propulsée par la surexploitation, et immédiateté rime avec imprévisibilité. Le spectateur est de plus en plus compliqué à comprendre et analyser. Et faire un film est un projet qui peut mettre des années à se concrétiser. À sa sortie, il peut-être démodé par son contexte de sortie et l’état d’esprit des spectateurs, tous deux imprévisibles.

Des objets de consommation copiables à l’infini

« La culture de masse apparaît quand la société de masse se saisit des objets culturels » disait Hannah Arendt. C’est exactement ce qui commence à se passer aujourd’hui. La transformation du mode de consommation entraîne une massification de cette consommation. Ainsi, les spectateurs ne prennent plus le temps de saisir ce qu’ils ont entre les mains. Les œuvres sont de plus en plus réduites à des objets de consommation. Les spectateurs qui seront dans cette culture de masse feront partie d’un système d’oppression qui créera un contenu de masse pour les satisfaire. Le public perdra son avis critique et s’y enfermera. In fine, nous serons conditionnés à ne voir qu’un seul genre de film.

Mais la vraie vie a des nuances de couleur et il serait injuste de mentionner uniquement ses points négatifs. S’il y a bien un paradoxe qui semble se créer, c’est qu’à échelle humaine, la surexploitation des différents univers est un créateur d’emploi considérable. Les franchises (souvent des blockbusters) nécessitent presque toujours des effets spéciaux. Et les studios qui s’en occupent ont toujours de nombreux techniciens à bord du navire pour travailler dessus. Mais il est aussi possible de créer de bons univers cinématographiques. Par exemple, la trilogie de Peter Jackson Le Seigneur des anneaux a compté 114 rôles parlés, plus de 20 000 figurants, 2400 techniciens, 120 responsables des effets spéciaux. Sans l’Homme pour faire des films, il n’y a plus de films. Mais veut-on vivre dans un monde où le cinéma n’est qu’une série de répétition et une pâle copie des œuvres du passé ?

LOTR

Fast and Furious 9 : course après course

Rares sont les sagas qui perdurent aussi longtemps que Fast and Furious avec les mêmes protagonistes. Et rares sont les sagas qui perdurent aussi longtemps et qui parviennent à garder une certaine qualité. Allons droit au but : Fast and Furious n’en fait pas partie. La saga roulait tranquillement dans le divertissement sans non plus casser trois pattes à un canard. Mais le départ de Paul Walker suite à son décès tragique en 2013, transforma la saga en un véritable calvaire. Dernièrement avec le spin-off (indicateur immanquable de la surexploitation) Fast and Furious : Hobbs and Shaw où le duo The Rock/Statham fait des folies. Ou avec Fast and Furious 8 où les personnages font la course contre un sous-marin… 

Fast and Furious 9 va encore plus loin, et le film joue sans cesse de son univers d’abord réaliste devenu aujourd’hui lunatique et trop gros pour être vrai. Les scènes se répondent entre-elles et ont conscience de sa médiocrité narrative. Les personnages incarnés par Tyrese Gibson (Roman Pearce) et Ludacris (Tej Parker) font usage d’un running gag qui met en évidence le fait qu’ils sortent vivants et sans égratignures de toutes les situations. Comme si le message n’était pas assez clair, les deux sidekicks du film sont propulsés dans l’espace. Mais contrairement à Tom Cruise prochainement, ils n’y ont pas vraiment été. Tout le film et tous les dialogues semblent justifier l’improbabilité de face à quoi nous sommes face. 

Fast and Furious 9, Vin Diesel passe la 5e

Justin Lin, seul salut ?

Mais si le film parvient à échapper à la médiocrité absolue, c’est grâce au retour de Justin Lin a la réalisation (Fast and Furious : Tokyo Drift, Fast and Furious 4, Fast and Furious 5, Fast and Furious 6). Il apporte une certaine fraicheur à l’intrigue de Dom et aux scènes d’action, liées à elle dans des flashbacks plutôt réussis. Malheureusement, le film est plombé par des choix narratifs inconcevables, à un tel point qu’on ne se demande plus s’ils sont crédibles. Tout ceci fait immédiatement retomber l’intérêt de certaines scènes.

1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 = 1.  En additionnant une copie par une copie, on obtient une copie. Et l’impression de déjà-vu commence à fortement impacter cette saga, devenant l’ombre de ses prédécesseurs. Fort heureusement, Vin Diesel se décide à passer la 5ème et annonce enfin la fin de la saga après le prochain film qui sera séparé en deux parties.

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