The Innocents : Abandon parental

Dans The Innocents, un groupe d’enfants vont dévoiler leurs différents pouvoirs mystérieux hors de la vue des parents durant un été nordique ensoleillé. Des pouvoirs qui vont donner un tout autre tournant à une simple aire de jeu.

Si le nom d’Eskil Vogt ne vous parle pas forcément, retenez le bien ! Co-scénariste du réalisateur montant Joachim Trier sur tous ses films (Oslo 31 août, Julie en 12 chapitres, Louder than bombs, Thelma), il s’attaque lui-même à la réalisation en 2014 avec son premier long-métrage Blind. Les deux hommes s’affirment comme les têtes de file d’une nouvelle génération de cinéastes norvégiens, marquée par des scénarios puissants au service des personnages. Cette année, Eskil Vogt offre à sa nouvelle création The Innocents une place au Festival de Cannes (sélection Un Certain Regard) et à l’Étrange Festival (en compétition officielle).

Une petite fille regarde au loin, l'air inquiet
© Les Bookmakers / Kinovista

Fantastique naturalisme

La puissance du long-métrage ne vient pas forcément d’où on l’attend. Filmant la vie d’un groupe d’enfants dans une cité désertée par les vacances d’été, Eskil Vogt y met toute sa volonté pour nous questionner sur l’ambiance de son œuvre. La majorité du film jouit d’une âme réaliste par des choix techniques naturalistes et froids. Il nous impose rapidement des protagonistes « mauvais » guidés par des instincts innocents, confrontant inévitablement le spectateur à des choix moraux. Dans cette idée, le cinéaste prend le parti de filmer ses séquences comme un documentaire, par de longs plans en mouvement au niveau de l’épaule, posant par la même occasion une tension palpable constante. Pesamment plongé dans le quotidien des habitants du quartier, le spectateur se lie et s’attache aux contacts entre les locaux. Alors quand ses liens se détachent, la chute est puissante…

La force de ce choix naturaliste se révèle quand son propos évolue. Développant des capacités fantastiques, les enfants se découvrent et s’amusent. Mis en scène par des effets spéciaux d’une grande sobriété, Eskil Vogt joue une carte forte : la réaction des protagonistes prime sur leurs capacités. Pas de grande démonstration, mais du jeu et de l’émerveillement infantile.

L’horreur de l’innocence

La facilité avec lequel le cinéaste jongle entre trois genres (fantastique, horreur et naturalisme) est sidérante. Le film nous offre deux séquences de pure atrocité, touchant à ce que beaucoup de films n’osent pas faire aux enfants. Matraqué par de longues séquences faisant monter l’angoisse, le film donne l’illusion de durer une éternité et de s’enfoncer doucement avec lui dans cette prison que devient le quartier illustré. Rappelant sans forcer la justesse de l’horreur/fantastique à la Maupassant, Eskil Vogt affirme que l’horreur se crée par la justesse d’écriture de ses personnages et un cadrage chirurgical, et démontre au passage que la construction d’une ambiance pesante sera toujours plus efficace qu’un screamer caricatural.

Force est de constater qu’il signe un coup de maitre par son excellent casting. Les jeunes comédiens et comédiennes imposent à l’écran une présence à mi-chemin entre la tendresse et la terreur. Tout est une question de dosage et de retenue dans ce film, dosage brillamment exécuté.

The Innocents,
© Les Bookmakers / Kinovista

The Innocents est une œuvre prenante et viscérale, laissant à son spectateur d’intenses réflexions morales. Sa présence en festival se justifie par ses ambiguïtés de propos et sa force technique et scénaristique, et fondera avec certitude un nouveau départ pour le cinéma de genre scandinave. Si on ne peut pas parler d’œuvre totale, Eskil Vogt illustre son envie de cinéma, en prouvant au monde entier qu’il peut marcher de pair avec son ami Joachim Trier, sans pour autant s’effacer derrière lui. De grands auteurs existent, de grands cinéastes ils deviendront.

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