Après le très remarqué revenge movie trans De la terreur mes sœurs ! en 2019 (lauréat du Grand Prix au FIFIB), Alexis Langlois est de retour avec le trash et clinquant Les Démons de Dorothy. Un film sous forme de geste contestataire, un doigt d’honneur fièrement dressé en direction de la « grande famille du cinéma français » et de ses éternels représentants.
Dans Les Démons de Dorothy, de voluptueuses pilotes (Raya Martigny et Sonia Deville) sont perchées sur la selle d’une moto et lovées dans un écrin de vapeurs roses, Dorothy (interprétée par Justine Langlois, sœur et alter-ego du cinéaste) imagine le scénario de son prochain film, le bien nommé « Bikeuses Amoureuses ». Arrachée de son flot créatif bouillonnant et des sensuelles images mentales qu’il génère par un appel de sa productrice, une terrible nouvelle met fin aux fantasmes « glittercore » de Dorothy. Trop queer, trop vulgaire, trop révolutionnaire, pas assez consensuel, les financeurs n’en démordent pas : ils ne produiront « Bikeuses Amoureuses » que si et seulement si Dorothy consent à céder aux sirènes de la norme.
Très cher cinéma français
Difficile de ne pas voir dans ce portrait burlesque d’une réalisatrice en galère un parallèle avec les mésaventures de production assurément rencontrées par Alexis Langlois. Aussi, quand Dorothy est sommée par sa productrice Petula (Nana Benamer) d’écrire un scénario plus « intimiste », elle s’exclame, non sans malice : « Je ne vais quand même pas faire une autofiction ! ».
Pourtant à mille lieues du récit semi-biographique à la Xavier Dolan – que Langlois tacle gentiment à travers le personnage de la concurrente de Dorothy, la réalisatrice Xena Lodan –, Les Démons de Dorothy fait plutôt l’éloge d’un cinéma qui tache, dont les coutures sont certes visibles, mais qui suinte d’envie et d’énergie.
Un propos audacieux
Happée dans une torpeur infusée à la bière bon marché, en plein milieu d’un épisode de sa série favorite Romy contre les vampires, Dorothy s’engouffre au cœur d’un Narnia queer et démoniaque peuplé par les ennemies de son quotidien morose – changées en sortes de monstres boursouflés par le botox –, dont sa mère (incarnée par la fabuleuse Lio, qui troque le banana-split pour le latex et les paillettes) et sa rivale Xena Lodan (Dustin Muchuvitz).
Dans ses pires cauchemars, Dorothy cède finalement aux sirènes du male gaze et de l’érotisme soft (adieu les motardes lesbiennes aux seins démesurés de « Bikeuses Amoureuses », bonjour les lisses ingénues de « Copines Coquines ») et devient une réalisatrice consensuelle approuvée par la profession.
Bardé de références à des artistes, cinéastes et personnalités qui n’ont jamais daigné ployer sous les conventions – Dorothy convoque Lizzie Borden, Chantal Akerman, et tapisse les murs de sa chambre des portraits de Lolo Ferrari et de Magdalena Montezuma, icône chez Fassbinder et Schroeter –, Les Démons de Dorothy réussit pourtant à témoigner de l’identité visuelle unique et audacieuse de son réalisateur. Si les cauchemars de Dorothy sont autant ceux d’Alexis Langlois – dont on attend avec impatience le premier long Les Reines du Drame, lauréat de l’appel à projets de films de genre du CNC –, tous deux entendent pourtant férocement montrer au monde que le temps du « cinéma de papa » est bel et bien révolu.
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