Ces dernières années donnent l’occasion de découvrir des films iraniens de grande qualité, tournant essentiellement autour du sujet de la critique du système judiciaire.
De La Loi de Téhéran à Un héros, et de Le Pardon à Le diable n’existe pas, les cinéastes iraniens que les producteurs français ont réussi à distribuer témoignent tous d’un système politique qui ne veut pas changer, et qui écrase quiconque tente de s’y confronter. Le thriller Marché Noir d’Abbas Amini tend à confirmer que la tendance semble se poursuivre en 2022 pour les films iraniens.
Des films iraniens qui ne refusent plus l’esthétisme
Le plus flagrant dans l’année 2021 du cinéma iranien (selon les sorties françaises) est le retour à une certaine stylisation des plans. Plus branché sur un courant naturaliste qui rapporte des faits avant de les romancer, en particulier chez Mohammad Rasoulof, le réalisateur de Le diable n’existe pas, le cinéma iranien de ces dernières années s’était éloigné de la mouvance mêlant naturalisme et esthétisme qu’avait magnifiée Abbas Kiarostami à la fin du XXème siècle. À vrai dire, ce flambeau avait étrangement été repris par le cinéma turc, à la tête duquel Nuri Bilge Ceylan mélange depuis deux décennies des scénarios sociaux bruts à une mise en scène virtuose.
Des envolées stylistiques
C’est cette année que ce retour à l’influence de Kiarostami s’est enfin ressenti à nouveau en Iran. Notons, en particulier, les efforts de Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha dans Le Pardon, un film de faux-semblants où les scènes d’ouverture et de clôture témoignent d’une volonté évocatrice forte. Titrée Ballad of a white cow en anglais, ce qui la rapproche bien plus de son titre d’origine, l’œuvre stylise le sacrifice humain à travers l’imagerie de la vache dans la religion musulmane, dont la mort est ordonnée par Dieu sans qu’elle ne soit évidemment coupable de rien. Au début et à la fin, Moghadam et Sanaeeha utilisent la vache blanche (et ses assassins masqués de noir, comme les bourreaux du système iranien) pour signifier la vacuité d’une justice qui se sert encore de la peine de mort, à tort parfois, pour s’imposer à la société.
De manière suffisamment surprenante pour être soulignée, cette influence à la stylisation s’est aussi retrouvée cette année chez Rasoulof et son accablant Le diable n’existe pas. En quatre histoires distinctes mais rassemblées par un même réquisitoire contre la peine de mort, Rasoulof se permet plusieurs envolées stylistiques étonnantes, avec l’utilisation inattendue de la chanson « Bella Ciao », mais surtout dans les deux derniers actes qui ne se privent pas de rendre justice à la beauté de la campagne iranienne, trop souvent ignorée par les cinéastes au profit du tourbillon de vie qu’est Téhéran.
Un mélange des genres bienvenu
Du polar ou thriller arabe (et moyen-oriental), nous ne voyons que des bribes en France. Il y a bien eu le fabuleux Le Caire confidentiel de Tarik Saleh en 2017. Mais depuis, pas grand-chose à se mettre sous la dent. C’est cette année que le film La Loi de Téhéran est venu nous donner une claque exceptionnelle, que l’on n’attendait pas venue d’Iran.
Polar préféré du réalisateur William Friedkin (Sorcerer, French Connection) depuis un bail, le film de Saeed Roustayi maîtrise le délicat exercice de mêler à son intrigue policière un propos de fond éminemment social. Critique de la peine de mort et de la manière dont les pouvoirs publics gèrent l’épidémie de crack en Iran (par l’exécution pure et simple), Roustayi mélange les deux genres, l’un plus occidental, l’autre ancré dans la culture iranienne, avec un brio qui tient le spectateur en haleine de la première à la dernière seconde.
Dansla lignée directe des films de genre américains dans lesquels des policiers à la morale douteuse tentent en vain de régler les problèmes du monde, La Loi de Téhéran parle tout autant de cela qu’il est foncièrement iranien dans sa construction, dans la chronique de l’engrenage implacable qui mène les hommes à la peine de mort quel que soit leur crime : du baron de la drogue au simple possesseur de quelques grammes, la sentence est la même. C’est la loi de Téhéran.
Un cinéma du sourire dont on ne soupçonnait pas l’existence
Une constance des films iraniens de ces dernières décennies est leur ambiance dure et sans pitié : on pourrait presque dire que le rire y est absent. C’est cette image qu’Asghar Farhadi a cherché à retourner avec Un héros, son nouveau tour de force. Sortant de Téhéran pour s’établir dans la plus calme et solaire Shiraz au sud, Farhadi choisit un sujet moins épineux (la prison pour dettes et non pas pour crime) qui lui permet d’y injecter plus d’espoir que dans tous ses précédents films réunis.
Le protagoniste, Rahim, essaie de sortir de prison par tous les moyens possibles sans jamais perdre son sourire, malgré l’enchaînement d’évènements contraires qui le ramènera de manière inévitable à la case départ. Du sourire – et du rire – pétillant et plein d’espoir des débuts, Rahim finit le film avec une expression de fatalisme déchirant, qui donne au cinéma de Farhadi un côté positivement poignant qu’on ne lui connaissait pas, ses précédentes œuvres étant plutôt tristes dans le sens le plus pur du terme.
Quatre films pour une année exceptionnelle
Le Pardon, Le diable n’existe pas, La Loi de Téhéran, Un héros : quatre films iraniens, de cinq grands cinéastes, qui nous auront permis en 2021 de mieux cerner l’Iran et sa société, plus que n’importe quel journalisme d’information n’aurait su le faire. Que l’on soit bourreau ou victime, condamné à tort ou à raison, le système judiciaire iranien est implacable au même niveau pour tous et le gouvernement n’en a cure que le monde extérieur le sache : en dehors de Le diable n’existe pas de Rasoulof, tourné en cachette à cause des relations plus que tendues entre le cinéaste et son pays, les trois autres films ont tous passé le comité de censure avec succès. De quoi s’inquiéter d’un durcissement du régime persan, qui ne s’intéresse plus à sa réputation, ou plutôt de se réjouir que ces films parviennent jusqu’à nos salles de cinéma ? À chacun de choisir…
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