Dans la lignée de son excellente année 2021, le cinéma iranien commence 2022 sur les chapeaux de roue en France avec un nouveau film coup de poing : Marché Noir. S’intéressant au monde rarement abordé du trafic de devises et d’animaux, le film d’Abbas Amini tient en haleine du début à la fin grâce à une tension savamment orchestrée. Même si tout n’est pas parfait, la proposition de Marché noir est rafraîchissante, notamment à une époque où les thrillers purs et durs manquent cruellement au cinéma.
En France, Abbas Amini n’est pas vraiment un réalisateur connu. Marché noir est d’ailleurs le premier de ses quatre films à bénéficier d’une sortie en France, porté par une troupe d’acteurs tout aussi confidentielle, mais au talent certain. Sans but particulier après son rapatriement forcé de France, où il essayait de passer en Angleterre par Calais, Amir, le personnage principal, se retrouve pris dans un engrenage mortel dans lequel son père l’a entraîné par naïveté. S’ensuit une plongée au cœur de l’Iran des sans avenir, où survivre implique de se saisir de la moindre opportunité, de l’abattage pas très légal d’animaux au trafic de dollars, qui mènera Amir de parkings miteux en voyage clandestins vers l’Irak voisin. Tout un programme donc, qu’Abbas Amini réussit admirablement à tenir, dans une cohérence qui s’avère être l’atout majeur du film.
Une prolongation de l’état de grâce du polar iranien
Depuis une paire d’années, le cinéma iranien semble avoir trouvé la clé pour faire les bons polars/thrillers que le cinéma occidental ne fait plus que trop peu. Tout commence par la vision glaçante d’un abattoir de nuit, où l’inquiétant reflet métallique des outils ensanglantés qui jonchent le sol donnent le ton. Petit à petit, on comprend que cet abattoir, son responsable et son gardien ont quelque chose à cacher. Photographiés dans un gris saturé qui ne laisse que peu de place au doute, les personnages qui “font” le mal entrent en contraste durant tout le film avec ceux qui cherchent simplement la vérité, baignés dans une lumière jaune plus douce à l’œil.
Au milieu de tout cela, Amir, le personnage principal campé par Amirhosein Fathi, oscille en permanence entre le gris et le jaune, le bien et le mal, le trafic et le doute. Tiraillé entre l’envie naturelle d’aider son père embourbé dans une affaire qu’il ne contrôle pas et le besoin de saisir n’importe quelle opportunité pour s’en sortir, Amir est un personnage aussi bien écrit qu’il est moyennement interprété par Amirhosein Fathi. Trop mutique et peut-être trop en retenue, Fathi ne réussit pas à transmettre tout le dilemme moral qu’il est censé incarner. Dommage, car c’est certainement l’aspect le mieux écrit d’un scénario déjà très réussi, dans la lignée des récents films iraniens à avoir trouvé le chemin jusqu’à nos salles. Dommage également, car toute la galerie de personnages secondaires est remarquablement campée par ses acteurs et actrices.
Une mise en scène haletante qui masque les longueurs
L’autre pièce maîtresse du long-métrage d’Amini, c’est sa mise en scène. Tantôt à l’épaule sans être frénétique, tantôt posée pour signifier le suspense, la caméra ne bouge finalement que très peu. De cette manière, la tension se retrouve décuplée, en se concentrant beaucoup plus sur l’immobilisme de personnages dépassés par les évènements que sur le reste.
De même, le film installe une dualité entre les moments de doute et ceux où les personnages tentent de sauver les meubles. Pour le doute, et donc les moments les plus calmes, la mise en scène s’éloigne pour montrer le vide (magnifique) des paysages iraniens, comme pour dire la vacuité des volontés des uns et des autres. Dans le reste de l’action, l’image devient très resserrée, comme pour faire ressortir les moindres expressions qui se dessinent sur les visages des acteurs.
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