Sélectionné dans la programmation de l’ACID lors de l’édition 2020 et auréolé du Grand Prix de la compétition française lors de la dernière édition du Festival International du Film Indépendant de Bordeaux, The Last Hillbilly se fait le précieux vecteur de la parole de Brian Ritchie, dernier témoin et poète d’un monde voué à disparaître.
The Last Hillbilly s’ouvre sur des images de nature, étriquées dans un format nous donnant l’impression de pénétrer à travers un tunnel qui mène vers un monde dont nous sommes étrangers. Alors que le format évolue progressivement, la beauté de la nature laisse rapidement place à la rudesse d’un paysage mortifère, témoignage d’un progrès destructeur. Les réalisateur·ice·s Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe nous invitent par cette petite lucarne à entrer dans un monde à l’écart, niché quelque part dans le Kentucky, à la découverte d’une partie de l’Amérique que nous ne connaissons qu’à travers ses représentations stéréotypées.
Le métrage s’apparente à une capsule poétique dans laquelle les notions de temps et de lieu ne semblent plus exister, le cadre retrouvant progressivement sa forme initiale dans les dernières scènes du film. The Last Hillbilly est une parenthèse, un poème d’à peine une heure vingt qui témoigne à la fois de la beauté de la terre et des angoisses d’un homme assistant à sa lente disparition.
La question de l’identité
Figure longtemps utilisée dans le cinéma américain en tant qu’antagoniste notoire, le « hillbilly » (redneck ou péquenaud en français), renvoie au stéréotype de l’homme blanc, pauvre et raciste, dont le mode de vie s’est retrouvé considérablement impacté par la désindustrialisation du continent nord-américain. A travers le personnage de Brian Ritchie, Thomas Jenkoe et Diane Sara Bouzgarrou tendent à dévoiler une nouvelle facette de la figure du hillbilly, sans jamais céder à l’écueil du stéréotype. Le métrage se construit autour des textes écrits par Brian Ritchie, qui s’érige en tant que dernier poète d’un monde en voie de disparition. En se saisissant des prénotions sur son identité, (« Tout le monde sait que sommes ignorants, sans éducation […], racistes, consanguins… Et tout cela est vrai »), Brian se réapproprie le terme hillbilly et confronte les spectateur·ice·s à leur vision stéréotypée.
En plaçant la parole de Brian au centre du récit, les cinéastes se positionnent volontairement en retrait, évitant ainsi au métrage d’être influencé par un point de vue socio-centré. Il ne s’agit pas de porter un jugement sur cette communauté, mais bien de témoigner des mutations socioéconomiques qui affectent son identité. Sur des séquences de la vie quotidienne se calquent une musique lancinante et menaçante – qui rappelle parfois les compositions d’Angelo Badalamenti pour Twin Peaks –, composée par Jay Gambit. Cette utilisation de la musique – d’autant plus lorsqu’elle est associée à la voix de Brian –, confère à l’ensemble une allure presque prophétique. Le Kentucky n’est plus la terre de demain, et Brian se fait alors le témoin impuissant de cette transformation.
The land of yesterday
Diane Sara Bouzagarrou et Thomas Jenkoe ont su se saisir du véritable potentiel cinématographique des paysages du Kentucky, en témoignent les plans d’ensemble fantasmagoriques sur les monts Appalaches recouverts d’une mer de nuages épais. La photographie de ces plans renforce l’aspect contemplatif de certaines scènes, accompagnées par la voix de Brian narrant l’histoire de ses origines et la progressive transformation de la région.
Chapitré en trois parties (under the family tree, the waste land et land of tomorrow), The Last Hillbilly traite majoritairement de la problématique de la transmission aux générations futures d’un patrimoine culturel et social en voie de disparition. Dans sa troisième partie – subtilement titrée land of tomorrow, traduction littérale de « kentucky » –, le métrage met en avant les enfants, premiers concernés et affectés par les mutations sociales et économiques de la région. Malgré leur attachement à la terre de leurs origines, cette nouvelle génération semble manifestement rattrapée par l’ennui et l’envie d’ailleurs, tout en souffrant dans le même temps de l’écart entre les deux Amériques – l’une rurale et délaissée, l’autre urbaine et « développée ».
Ces enfants parviendront-ils à définir leur place dans ce monde ? Se sentent-ils autant Américains qu’Appalachiens ? Sont-ils capables de se réapproprier le terme hillbilly avec autant de vigueur que Brian ? Sans pour autant être catégorique, le métrage semble pourtant porter des éléments de réponse, notamment dans son titre. The Last Hillbilly n’est autre que Brian, dernier représentant d’une identité mourante – parce que difficile à porter – et d’une région délaissée. Alors que le cadre et la nuit noire se referme sur ces enfants, un douloureux « help me » s’élève, traduisant à lui seul leur difficile chemin vers la construction d’une identité nouvelle.