Alors que la condition des femmes ne fait que se détériorer en Iran, le documentaire Sunless Shadows vient agrémenter cette idée en montrant une facette rarement vue de la question : celle des femmes emprisonnées.
Dans un pays dans lequel la violence envers les femmes au foyer n’est que très rarement condamnée, le réalisateur Mehrdad Oskouei filme avec son documentaire Sunless Shadows, qui sort en DVD en France cette année, le revers de la médaille, à savoir celui des femmes condamnées pour violence domestique, ou plus précisément pour meurtre de leur mari, père ou parent.
“Dans une prison pour femmes à Téhéran, la capitale iranienne, des femmes emprisonnées pour le meurtre de leur mari, père ou parent vivent en attendant leur condamnation ou leur libération. Entre paroles face caméra, discussions philosophiques et tranches de vie, Sunless Shadows donne la parole à celles que d’habitude nous n’entendons presque jamais.”
Un documentaire à la forme ambitieuse
Plus qu’une simple transmission des faits, Sunless Shadows est l’occasion pour Mehrdad Oskouei de faire l’étalage de toute sa qualité artistique. Le documentaire adopte ainsi une forme audacieuse à quatre séquences, qui se suivent en fonction du point de vue adopté. Il y a d’abord l’adresse face caméra des prisonnières, qui parlent à leurs mères et leurs sœurs. C’est l’occasion d’asséner le même message : la violence des femmes est avant tout une conséquence de la société patriarcale et de tous ses vices en Iran.
Viennent ensuite les trois séquences qui font tout le sel du film. Sans ordre particulier, Mehrdad Oskouei montre plusieurs tranches de vie. Dans la prison qui devient un havre de vie pour ces femmes loin de la violence des hommes, la vie prend ses droits malgré l’horreur. C’est ainsi dans une atmosphère étrangement légère que les prisonnières tour à tour s’amusent, travaillent, s’occupent de leurs enfants. Parfois, elles s’engagent dans des conversations philosophiques à propos de la mort, des raisons de leurs meurtres, ou seulement de la condition des femmes en Iran. C’est l’occasion pour le réalisateur de laisser courir sa caméra, en se permettant parfois d’intervenir mais en laissant les femmes libres la plupart du temps.
Des scènes de vie suspendues
Les plus beaux moments du film sont toutefois ceux où rien ne se passe et rien ne se dit. Le réalisateur nous montre alors des scènes de vie suspendues, presque planantes, qui sont autant une métaphore de la situation des prisonnières qu’une manière de dire que la vie continue. Ces séquences se résument la plupart du temps à filmer des oiseaux, tantôt à terre, tantôt volants.
C’est là que la mise en scène de Mehrdad Oskouei est la plus belle. Les oiseaux qu’il s’autorise à filmer pour faire respirer son documentaire sont bien évidemment une façon de symboliser la liberté que les prisonnières n’auront jamais vraiment, mais sont aussi l’opportunité de simplement laisser s’exprimer une grâce bienvenue.
Une critique classique et originale à la fois du patriarcat iranien
Sunless Shadows tient tout d’abord un propos classique et déjà vu dans le cinéma iranien, à savoir celui de la critique du patriarcat qui écrase les femmes. Comme Saeed Roustaee ou Ali Abbasi avant lui, Mehrdad Oskouei tire une sonnette d’alarme que le pouvoir iranien préfère ignorer, à l’image de la répression des manifestations après la mort de Mahsa Amini.
Mais au-delà de ce propos connu quoique toujours important, le réalisateur aborde les délicats sujets de la loi du talion, qui presque partout ailleurs est vue comme une aberration archaïque, et celui de la véritable responsabilité des prisonnières. Vu la violence à laquelle elles ont été soumises, les femmes du documentaire peuvent-elles être jugées comme les autres criminels pour les meurtres qu’elles ont commis ? Au fond, quelle violence est la pire, celle que des hommes ont pu leur infliger pendant parfois des décennies, ou celle du meurtre qui y a enfin mis fin ?
Telle est la question que pose Sunless Shadows sans jamais vraiment y répondre. Et à la fin, on se retrouve démuni face à ce dilemme qui n’a pas de bonne ou de mauvaise réponse, et c’est toute la force du documentaire.
Très joliment réalisé et fin dans son propos, Sunless Shadows est un documentaire important pour mieux connaître et comprendre ce pays immensément paradoxal qu’est l’Iran. En espérant que sa sortie DVD et cette critique lui permettent d’être connu du plus grand nombre !