Moon Garden de Ryan Stevens Harris : Jardin d’enfance

Retour sur le joyau de l’Etrange Festival 2023, Moon Garden de Ryan Stevens Harris : une odyssée onirique à l’esthétique bercée par le meilleur de Jeunet, de Gilliam et de Del Toro, au cœur des limbes où s’affrontent la fin et le commencement.

Dévoilé en France dans la compétition de l’Etrange Festival en septembre dernier, Moon Garden de Ryan Stevens Harris s’inscrit parfaitement dans la philosophie du festival. Un film fantastique très radical dans son concept, de l’expérimentation à foison et surtout de la création artisanale qui, bien que d’une très grande qualité, renvoie aux origines du cinéma fantastique fabriqué de toutes pièces.

“Dans le coma, la petite Emma erre dans le monde de ses rêves, féerique et industriel, hanté par un monstre qui se nourrit de ses larmes.”

Au milieu d'une sorte de forêt sombre brumeuse, une cabane minuscule se dresse dans la lumière, une petite fille est sur le palier de dos.
©Oscilloscope Laboratories

Un trip sensoriel intemporel

Pour son créateur, Moon Garden a toujours été conçu comme un film hors de son temps, comme s’il était retrouvé dans le fin fond d’un vieux grenier et joué sur un projecteur abandonné. Pari réussi, son style est unique, ni tout à fait vrai ni tout à fait faux, ni actuel ni ancien ni futur, à l’image du monde intérieur d’Emma, cet entre-deux indéfini qui la tient en équilibre entre la vie et la mort qui l’appellent.

L’esthétique très texturée du 35mm sublime et met en relief les décors déments tantôt fabriqués, tantôt animés, ainsi que le travail sur la lumière faisant de chaque plan un tableau surréaliste dans la lignée d’un François Joly ou d’un Marc Hallingre. Ainsi, on est plongé avec Emma dans un monde destructuré, répondant à ses propres codes et en perpétuelle transformation au fil des péripéties rencontrées.

Une mythologie en construction

Chaque décor devient personnage et vient également présenter les nouveaux alliés ou ennemis de la fillette que génèrent les souvenirs ou les sons qu’elle peut entendre dans son inconscient. Le postulat est simple mais pourtant d’une richesse formidable.

Une mythologie entière se construit à travers l’imaginaire que l’enfant puise de sa vie : tout se file, s’agence, les souvenirs, le présent des parents dans la salle d’hôpital, les histoires féériques favorites de l’enfant mais aussi la réalité de la gravité de sa situation. Car il ne s’agit pas d’une simple déambulation dans le monde de l’inconscient, c’est une course poursuite, l’enfant symbole de vie traqué par la mort précoce.

©Oscilloscope Laboratories

L’amour de la vie pour seule armure

Le monstre de mort et de souffrance est certainement la plus grande réussite visuelle du film, à l’image d’une créature du Labyrinthe de Pan. Il prend la forme d’un cauchemar pour la fillette qui ne comprend pas véritablement ce qui la guette ; elle sait juste que c’est effrayant et qu’elle doit s’en éloigner si elle veut retrouver ses parents.

La force de ce monstre réside en son omniprésence symbolisée par des parties de lui, mais aussi sa fragilité, il se déforme, se reforme alors qu’en réalité il n’est que le néant, un vide informe. Cette représentation si poétique de la mort contraste alors avec toute la vie qui est convoitée.

Une écriture tendre

C’est cette ambivalence qui traduira le cœur de Moon Garden qui joue en réalité sur deux tableaux. D’un côté, la petite Emma se bat contre la mort pour revenir à la vie, mais ses parents de leur côté se battent pour sauver leur couple. Ces deux histoires s’entremêlent puisque c’est le conflit familial qui se retrouve responsable de l’accident de l’enfant.

Et finalement elles ne font plus qu’un. Tout le monde doit lutter à sa manière contre la menace de la fin. L’écriture est d’une tendresse et d’une grande émotion en confrontant l’innocence de l’enfant à la fatalité, représentée dans la fin du couple de ses parents, les problèmes inévitables de l’âge adulte, et bien sûr dans la menace de la mort. Des fatalités qu’aucun enfant ne devrait connaître, mais qu’Emma doit accepter et vaincre.

Un buste se tient de face relié à trois portraits de visages, le tout éclairé de rouge.
©Oscilloscope Laboratories

Sans prétendre révolutionner le concept de lutte intérieure contre ses démons, Harris apporte une créativité et une sincérité qui font la différence. Cette sincérité et proximité ne sont pas dues au hasard puisque la production est majoritairement familiale, l’actrice de la fillette étant l’enfant du réalisateur, sa femme la productrice et son plus proche collaborateur co producteur et marionnettiste.

On assiste donc au fruit de l’amour de cette famille, leur envie de cinéma, leurs compétences diversifiées dans l’animation, le stop-motion, la fabrication. Alors naît une œuvre unique, authentique, et d’une puissance émotionnelle marquante qui en fait l’un des films les plus touchants de l’année.

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