Avec Le Tigre Blanc, le réalisateur américain Ramin Bahrani (Chop Shop, 99 Homes, Fahrenheit 451) adapte le premier roman de l’écrivain indien Aravind Adiga, récompensé du 40e Man Booker Prize.
Le Tigre Blanc est un symbole de pouvoir en Asie de l’Est, il incarne la liberté et l’individualité. De serviteur à auto-entrepreneur, les classes et castes sociales s’affrontent dans une bataille féroce.
Balram Halwai est un homme accompli, auto-entrepreneur et vraisemblablement riche, mais ce ne fut pas toujours le cas. Il raconte son ascension dans une lettre adressée au Premier ministre chinois qui se rend en Inde.
La voix d’un pays
Lorsque Balram Halwai décide de rédiger une lettre à Wen Jiabao, il ne s’agit pas seulement de raconter son histoire personnelle. Ses ambitions sont plus grandes ; il narre, aux spectateurs et au Premier ministre l’histoire d’une Inde aux proies de la mondialisation. Dès les premiers instants, on comprend que le film n’a pas pour unique vocation de nous divertir, mais s’érige avant tout comme le porte-parole d’une population pauvre tellement mise en avant qu’on ne cherche pas à comprendre ce qui se cache derrière elle.
Balram Halwai sera notre guide tout au long du film, nous permettant de découvrir l’Inde sous un angle critique, sans se cacher derrière les artifices de Bollywood. Il alterne ainsi entre individualisme (son histoire personnelle) et groupe (la voix d’un pays). Ramin Bahrani emprunte au cinéma indien une de ses fameuses structures narratives en séparant le film en deux parties bien distinctes : la première, légère, et la seconde bien plus sombre.
Les classes sociales
À la manière de Parasite, Le Tigre Blanc s’apparente à une fresque sociale qui évoque l’Inde actuelle en mettant en avant les failles de son système. Aux yeux des spectateurs, l’association entre l’Inde et la pauvreté dans un film rappelle quasi-immédiatement Slumdog Millionnaire de Danny Boyle, un film au demeurant peu nuancé sur la pauvreté du pays. Le Tigre Blanc s’attaque à l’essence même de la société indienne, notamment à la trop grande importance donnée aux classes et castes sociales (certains serviteurs doivent cacher leur nom et religion à leur maitre). Ce système étant bien trop long à expliquer en détail, le protagoniste résume les castes à la caste sociale inférieure et à la caste sociale supérieure.
Même si le discours du film semble condamner le comportement des riches envers les pauvres, d’une certaine manière, il critique aussi le comportement de la famille de Balram qui le pousse à rester à sa place, rendant difficile l’ascension déjà compliquée – voire impossible – de cette population pauvre. Pour résumer pertinemment en quelques secondes la condition des serviteurs en Inde, il décide d’utiliser la métaphore du poulet en cage : ils voient et sentent le sang, ils savent que c’est leur tour et pourtant ils n’essayent pas de se sauver. En Inde, les serviteurs ont de grandes responsabilités. Ils ont parfois accès à la richesse à portée de main, mais ils n’en font rien puisqu’ils vivent dans cette cage à poulets.
Américanisation & modernité
À une époque où la mondialisation se fait de plus en plus oppressante, l’Inde est bien évidemment touchée par ce phénomène. L’américanisation (l’influence de la culture et des affaires américaines) est au centre du film. Certaines villes en Inde sont influencées par cette dernière.
Dans le film, il s’agit de Gurugram (à 30km au sud-ouest de la capitale) où l’on a l’impression d’être dans une ville américaine avec ses énormes gratte-ciel et les multinationales qui y sont implantées, à l’instar de Microsoft ou d’American Express. C’est LA ville de l’entreprenariat, et c’est cette ville qui attirera Ashok (Rajkummar Rao) et sa femme Pinky (Priyanka Chopra Jonas), un couple d’indiens qui aura vécu de nombreuses années à New-York avant de décider de revenir en Inde. C’est par ailleurs grâce à eux que Balram prend conscience de la gravité de sa situation puisqu’ils ne le traitent pas de la même manière que le traitent les autres.
Mondialisation
On retrouve également cette américanisation à travers le choix des langues : dans son village natal et lorsqu’il était jeune, Balram parle hindi, et lorsqu’il travaille pour des riches, il commence à parler anglais. Un choix de mise en scène qui semble en accord avec les propos du film mais qu’on pourrait aussi assimiler à de la condescendance ; une volonté de domination qui montre toujours que les occidentaux se prennent pour les sauveurs du monde. Mondialisation et entreprenariat suggèrent concurrence, et c’est là aussi un élément crucial du film, car elle existe partout (même entre les serviteurs) et c’est elle qui pousse à la corruption, à ce côté obscur qui semble intrinsèquement lié à la réussite.
Le Tigre Blanc dépeint la lutte des classes imprégnée dans la culture indienne et la difficulté d’en sortir. Adarsh Gourav impressionne pour un premier rôle principal, mais ce sont avant tout les thématiques et réflexions sociales qui rendent le film intéressant. Parfois long, souvent binaire, il ne révolutionne rien mais parle d’actualité avec cœur.
Le Tigre Blanc est en streaming sur Netflix
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