Eviter l’académisme s’avère souvent laborieux lorsqu’il s’agit de porter le milieu scolaire à l’écran. La Salle des profs (Das Lehrerzimmer) échappe à ses écueils et se distingue par la puissance extraordinaire de ses influences naturalistes.
La Salle des profs d’İlker Çatak dresse le constat alarmant d’un système éducatif au bord de l’implosion. Nommé dans la catégorie « Meilleur film étranger » aux Oscars 2024, le long-métrage allemand s’opposera à des films remarqués comme La Zone d’intérêt.
« Alors qu’une série de vols a eu lieu en salle des profs, Carla Nowak (Leonie Benesch) mène l’enquête dans le collège où elle enseigne. Prise entre ses idéaux et le système scolaire, les conséquences de ses actes menacent de la submerger. »
Panic Room
Afin de mettre en évidence les rouages d’un microcosme étouffant, La Salle des profs a pour unique cadre le collège de sa diégèse. Dans cette optique, le spectateur ne connaitra que très peu d’éléments de la vie privée des protagonistes. Ce qui intéresse davantage Ilker Çatak, est la réaction des différents acteurs du collège en situation de crise. Ce parti-pris peut d’ailleurs s’inscrire dans la lignée de la palme d’or Entre les murs de Laurent Cantet.
Aussi, le resserrement de l’action dans un seul lieu renforce le caractère oppressant de la mise en scène. Caméra à l’épaule, plans serrés… le dispositif filmique est mis à l’oeuvre pour transposer la tension que ressentent à la fois élèves et professeurs. De ce fait – et c’est en cela qu’il est innovant pour un film du genre – le long-métrage oscille entre drame et thriller de fort belle manière.
Esprits rebelles
Avec La Salle des profs, Ilker Çatak fait le portrait d’une école à bout de souffle et en incapacité à faire dialoguer le corps social qui la compose. Ce qui était déjà le propos (avec une forme moins radicale certes) du film Un métier sérieux de Thomas Lilti. S’il n’est pas tendre avec l’état actuel de l’enseignement, le film ne se contente pas d’en faire la critique accablante. Car c’est bien la prise de pouls d’une société allemande (et plus largement, occidentale) de plus en plus divisée que fait le réalisateur.
Entre radicalisation, divergences de culture et la culture de l’individualisme exacerbée, l’école semble être le terrain de jeu idéal pour montrer les failles de nos sociétés contemporaines. En d’autres termes, le film dénonce l’hypocrisie derrière la volonté de bien commun, où chaque individu défend majoritairement ses intérêts avant celui des autres.
En témoigne le personnage complexe du proviseur Liebenwerda (Michael Klammer). Sa maxime « Si vous n’avez rien à cacher, vous n’avez rien à craindre » tient bien plus du vocabulaire policier qu’éducatif. Celle-ci illustre bien la position parfois trouble qu’entretient le corps enseignant avec les élèves.
La vie et le vice scolaire
La Salle des profs parvient avec brio à faire vivre les différents groupes composites d’un établissement scolaire. Que ce soit les enseignants, les élèves, les parents, la presse du collège… chacun tient son rôle comme dans une micro-société. Au milieu de tous ces groupes, la jeune professeure Carla Nowak (brillamment interprétée par Leonie Benesch) tente de faire son métier avec ses idéaux.
En quête de vérité et de justice, la jeune femme est rapidement désignée comme bouc émissaire de l’échec de tout un système, alors qu’elle essaie désespérément de participer à l’émancipation de sa classe. Non sans ironie, le film prend un malin plaisir à dénoncer l’absurdité des conventions scolaires. En cela, La salle des profs tirerait presque vers du Kafka lorsque Carla Nowak doit faire face à une administration contraignante.
La mauvaise éducation (nationale)
En revanche, il est indéniable que La Salle des profs est un film profondément humaniste. Le personnage du jeune Oskar (Leonard Stettnisch) est bouleversant. Rarement des discussions entre professeurs et élèves ont paru si vraisemblables au cinéma. C’est à mettre au crédit du duo Çatak-Duncker à l’écriture. Ils s’inspirent de leur propre vécu et de témoignages d’élèves et enseignants qui ont accompagné le processus créatif.
Ainsi, une grande attention est portée aux tourments intérieurs des personnages. Par conséquent, le film regorge d’idées ludiques pour ne pas être sur-signifiant tout en gardant une pincée d’humour grinçant, comme lors de la scène du chemisier, qui lorgne du coté du thriller paranoïaque. De plus, aucune place n’est gardée au manichéisme puisque le film laisse une place centrale à l’interprétation. En atteste la conclusion, en fin ouverte, dont on ne révélera aucun élément.