Après l’internat de médecine et la faculté, Thomas Lilti revient à l’école avec un film – presque trop – feel-good.
Un métier sérieux s’inscrit dans la veine humaniste d’Hippocrate et confirme le talent de Thomas Lilti dans le cinéma “de service public”, mais perd sa vigueur politique à cause d’un récit trop choral et consensuel.
“C’est la rentrée. Une nouvelle année scolaire au collège qui voit se retrouver Pierre, Meriem, Fouad, Sophie, Sandrine, Alix et Sofiane, un groupe d’enseignants engagés et soudés.
Ils sont rejoints par Benjamin, jeune professeur remplaçant sans expérience et rapidement confronté aux affres du métier.
A leur contact, il va découvrir combien la passion de l’enseignement demeure vivante au sein d’une institution pourtant fragilisée.”
Nous sommes une troupe !
Avec Un métier sérieux, Thomas Lilti quitte sa zone de confort mais poursuit son entreprise de service public-sploitation. En effet, après l’hôpital (et plus largement la médecine), il s’intéresse cette fois au métier d’enseignant, via la première année de Benjamin Barrois (Vincent Lacoste), jeune remplaçant catapulté dans un lycée de banlieue somme toute assez banal. Il convoque sa troupe d’acteurs fétiches puisque outre Lacoste, sont à l’affiche François Cluzet (Médecin de campagne), William Lebghil (Première Année), Louise Bourgouin, Mustapha Abourachid et Théo Navarro (Hippocrate, la série et/ou le film).
Comme on peut donc s’y attendre, il s’agit en premier lieu d’un film de comédiens. Le film s’attache d’ailleurs à décrire les similitudes entre les deux métiers, dans la manière de placer sa voix, d’occuper l’espace, de capter l’attention. Le dispositif semi-réaliste – entre la captation du futil et le tissu fictionnel d’une série télé – bien que prévisible, fonctionne d’autant mieux que les automatismes des acteurs sont flagrants. Les partitions sont jouées sans fausse note, et parfaitement orchestrées par Lilti qu’on devine excellent dans la direction d’acteurs. Pour un effet paradoxal, puisqu’en résulte, étant donné son sujet, un film presque trop feel good.
L’Elephant dans le couloir
C’est que son sujet, justement, n’est pas tout à fait celui d’Hippocrate. Les films peuvent pourtant sembler interchangeables, habités par le même tempo narratif, mais derrière sa dimension chronique, Hippocrate traitait frontalement de la casse de l’hôpital public. Les cadences infernales, le manque de moyens humains et matériels, les dégâts du New Public Management. Le vrai héros du film, c’est le couloir vétuste par lequel on y entre, cette peinture écaillée par l’humidité, la décrépitude du système de santé est aussi physique, elle se lit jusque sur ses murs.
Ici, elle s’incarne dans une fenêtre qui ne ferme plus et des couloirs trop étroits pour absorber le flux des élèves et des professeurs, mais son effet est amoindri par des choix narratifs trop dispersés, qui échangent le réel contre un inventaire soigneux qui voudrait n’oublier aucune des facettes du métier. Trahissant un regard documenté certes, bienveillant certes, mais résolument extérieur. Il y a de la compassion dans le regard, mais c’est une compassion de principe : professeur est un métier difficile comme un autre.
Une (trop) bonne ambiance de classe
Un métier sérieux est donc un film qui souffre d’être trop choral et trop fédérateur. L’énergie troupière que dégage son casting le condamne à en faire un spectacle de la résilience, ce qui le dépolitise entièrement.
En fantasmant un corps professionnel parfaitement soudé et solidaire, il tait les lignes de crête qui fracturent la profession et l’affaiblissent. En particulier, la question du recours aux contractuels n’est ni abordée ni même suggérée, Vincent Lacoste est simplement un remplaçant, sans que la nature de son remplacement, pourtant structurante, ne soit jamais précisée.
Ce constat ne doit pas faire oublier les qualités du film, dont on pourra dire qu’il exécute à merveille son programme : excellemment joué, bien conduit, souvent drôle, il n’ennuie pas et son avenir télévisuel est assuré. C’est le programme choisi qui déçoit, car il semble ne considérer son sujet que comme un marchepied vers un canevas industriel : celui du Toledano-Nakache. Ça n’est pas la pire chose qui puisse arriver à un film ; ça n’est pas non plus la meilleure.