Une quête de soi, de la réussite, et un road-movie amer et désespéré : c’est exactement ce que Max Winkler vient décrire dans son film. Sous ses airs de drame familial, filmant une fraternité délavée, le film vient aussi parler d’une Amérique qui refuse toute marginalité mais qui n’a de cesse d’en créer une.
La Loi de la Jungle (Jungleland en version originale) conte l’histoire de deux frères qui naviguent dans le milieu de la boxe clandestine. Quand Stan, incarné par Charlie Hunnam, se retrouve endetté auprès d’un criminel interprété par Jonathan Majors (Lovecraft Country), il va embarquer son frère (Jack O’Connell) au sein d’une fuite durant laquelle ils vont feront la rencontre de Jessica Barden (The End of the F***ing World).
Masculinité toxique et fraternité abimée
Ce qui fonctionne dans La Loi de la Jungle c’est surtout l’écriture de la relation entre les deux frères. Le film vient dépeindre deux personnalités qui vivent dans le même monde, qui partagent le même sang mais qui sont totalement indépendantes. D’un côté nous avons le personnage de Stan, dont le charisme – autrefois tout puissant – commence à s’étioler. Stan le sait et Charlie Hunnam arrive avec brio à retranscrire à travers le regard cette angoisse quand il réalise que son piédestal s’effrite. De l’autre, Jack O’Connell campe un type de personnage qu’on lui connait bien mais qu’il maitrise avec une assurance née ; celui du silence. Son personnage porte une douleur sourde, qui refuse de sortir bruyamment, et qui finit par l’alourdir. Les deux acteurs arrivent à créer une attraction particulière et le spectateur ne peut plus détourner les yeux de ce duo qui fonctionne à merveille.
La dynamique de cette fraternité teintée de personnalités fortes mais abimées est un des vecteurs du film, mais il n’est pas que ça. Il y a dans l’écriture de ce duo une volonté qui est totalement autre : le film ne veut pas nous montrer seulement un amour entre frères mais une forme de masculinité que nous ne voyons que rarement dans ce genre de film. Le contraste entre le milieu suintant la masculinité toxique dans lequel les personnages circulent et leur relation est très bien amené.
Une écriture qui casse les préjugés
Le réalisateur pose le spectateur dans un environnement connu et dépourvu de toute sensibilité, puis nous montre ensuite deux frères qui n’ont pas peur de leur propre failles. C’est assez rare pour être souligné. Le personnage joué par Charlie Hunnam ne tremble pas à l’idée de montrer son affection envers son frère, tandis que Jack O’Connell est à fleur de peau et d’une innocence rarement vue au sein d’un environnement pareil.
Il y a dans l’écriture de leur relation une volonté de casser certains préjugés et de parler librement de masculinité toxique. Et cette famille décomposée prendra un coup supplémentaire suite à l’arrivée de Sky, interprétée par la géniale Jessica Barden. Un personnage triste, déconnecté mais vecteur de la fissure intérieure de la relation des deux frères. Son personnage est une marchandise qu’ils vont devoir transporter et symbolise le poids qu’ils se trainent au fond d’eux. Un paquetage lourd, encombrant mais qu’il est nécessaire de porter pour pouvoir s’en libérer.
…et l’Amérique tomba
Mais derrière le drame familial se cache également un propos qui est tout autre : celui du drame social. Le film se montre comme un road-movie délavé. La Loi de la Jungle parle de la marginalité et la montre au travers des scènes d’intérieur qui sont là pour accentuer l’idée que les personnages sont à part dans la société. Ils ne font pas partie du monde, ils sont enfermés dans un milieu que l’Amérique leur a créé.
La vision des deux frères s’oppose constamment et on retrouve deux visions déjà vues dans le cinéma mais qui est toujours d’actualité : quand l’un préfère se ranger et tenter de rentrer dans la société qui l’a si souvent repoussé, l’autre pense inlassablement que le crime est plus rentable.
Un film de combat
La boxe clandestine est centrale dans le film et agit en tant que métaphore sur le combat intérieur de ses protagonistes. La rage intérieure des personnages est symbolisée par ce sport qui traduit un message convenu mais efficace : toujours continuer à se battre. Les marginaux dépeints dans La Loi de la Jungle doivent se battre – au sens littéral comme figuré – certes contre eux-mêmes, mais également contre une société qui les a enfermés dans une case.
Max Winkler filme avec sensibilité et brutalité l’abandon de ses personnages par la société américaine, retraçant par leur relation une nation également coupée en deux, abimée et dans laquelle les citoyens ne font que survivre.
Max Winkler filme des visages épuisés, marqués par la vie et l’autodestruction. Il filme une Amérique qui a baissé les bras et qui décline petit à petit avec brutalité et sincérité. Il dépeint la morte lente et symbolique de personnages qui roulent vers le drame de leur propre vie. La loi de la Jungle s’apparente à un spleen lent, destructeur et dramatique de ceux qui survivent plus qu’ils ne vivent. D’une réalisation soignée et parfois très intelligente, notamment dans sa façon de filmer la dualité et l’épuisement, Max Winkler nous emmène dans l’enfer de ceux qui ont conscience de ne rien posséder.
Disponible en VOD depuis le 25 mars
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