ÉTÉ 96 | Entretien avec Mathilde Bédouet

Premier court-métrage en réalisation de Mathilde Bédouet, Été 96 est une proposition aussi forte que délicate, aux couleurs délavées et à l’ambiance aigre-douce.

César du meilleur court-métrage d’animation, le film oscille délicatement d’une ambiance estivale légère à une démonstration d’épouvante enfantine. Sa réalisatrice, Mathilde Bédouet, a gentiment accepté de répondre à quelques unes de nos questions.

“L’éternel pique-nique du 15 août sur l’île Callot. Mais cette année, Paul, sa famille, leurs amis, se retrouvent piégés par la marée. Paul, bouleversé, coincé entre le monde des adultes et celui des enfants, prend conscience de son individualité.”

Sur un fond blanc neutre, la famille elle toute en couleurs s'affaire autour d'une carte des marée. Un orque gonflable les regarde sur le côté gauche de l'image.
©Tilta Productions
Comment en es-tu arrivée à faire Été 96 ?

Mathilde Bédouet : J’ai 34 ans. J’ai toujours dessiné, depuis petite et ne me suis jamais arrêtée ! J’ai fait un Bac L option arts plastiques. Après une mise à niveau d’arts appliqués à Olivier de Serres (Ensaama), j’ai été reçue aux Arts décoratifs de Paris où je me suis spécialisée en animation pendant 5 ans.

J’ai eu la chance de partir pendant un semestre en échange à New-York à la School of visual Arts. C’était génial de découvrir un autre système scolaire et l’énergie américaine, les professeurs comme les élèves sont très enthousiastes et hyper encourageants ! Une fois diplômée, j’ai eu six mois un peu difficiles à la recherche de travail. Avec des amies des Art déco dans la même situation, nous nous sommes réunies pour monter un collectif. C’était une super décision car nous avons pu nous entraider dans nos premières expériences professionnelles. J’ai réalisé plusieurs clips grâce auxquels j’ai trouvé ma technique – la rotoscopie –  J’ai d’abord fait de la rotoscopie numérique puis me suis tournée vers les crayons de couleur.

Et de là, l’envie d’écrire un court métrage est arrivée ?

MB : Oui, je me suis faite aider sur la partie scénario par mon père. L’histoire est née avec un carton retrouvé dans la cave par mon père, avec à l’intérieur des cassettes de caméscope, de souvenirs. C’était très émouvant à regarder, parce qu’à l’époque ça coûtait cher de filmer. Donc c’était tourné cut, avec des grands bonds d’une époque à l’autre. Sur la plupart des rushes, on voyait nos vacances en Bretagne avec cette île en toile de fond, ça m’a beaucoup inspiré.

Au début je pensais faire un documentaire. Partir du souvenir morcelé, avec les différents points de vue de la famille. Puis ça a vite dérivé sur de l’animation. J’ai mis de côté les archives et on a fait un vrai tournage.

Ton père écrit aussi ?

MB : Oui il est réalisateur de prise de vue réelle. (Arnaud Bédouet; Clandestin, La bonne conduite). Comme c’était la première fois que j’écrivais un scénario, je lui ai demandé de l’aide, notamment sur les dialogues. Comme nous écrivions sur des souvenirs partagés, ça revenait aussi à l’idée de départ de raconter un souvenir commun.

Sous une pluie battante au bord de la plage, adossée contre une falaise rocheuse et protégés par des parasols, la famille essaye de se réchauffer avec un feu improvisé, le tout sous l'oeil attentif d'une bouée en forme d'or.
©Tilta Productions
Et au final tu as utilisé des images d’archives ?

MB : J’ai essayé mais c’était trop compliqué à intégrer. A partir du moment où j’ai décidé je les abandonner tout est devenu plus simple. Mais je m’en suis énormément inspiré en terme d’intentions de stylisme et d’actions.

Ce mélange de visuels qu’apporte la rotoscopie en se collant au réel, c’est quelque chose qui vient plus de tes inspirations arts appliqués ou c’est une volonté de se rapprocher de ces souvenirs ?

MB : J’aime beaucoup l’animation réaliste. Ma technique est venue d’une contrainte, parce que je voulais faire des films seule et que je n’étais techniquement pas assez douée. Je me suis donc appuyée sur de la prise de vue réelle et suis très contente de l’esthétique que j’ai développée.

Je trouve ça extraordinaire d’avoir des acteurs qui interprètent le scénario parce qu’ils apportent énormément d’humanité par leur jeu. Deux temps se mêlent : celui du tournage en équipe, très exaltant, et celui plus méditatif et solitaire de l’animation.

Et tu veux garder cette technique pour tes prochains projets ?

MB : Oui ! J’y prends énormément de plaisir. Composer mon cadre, faire de la direction d’acteur, et avoir un rendu assez réaliste qui s’adresse plutôt aux adultes même si les enfants peuvent aussi le regarder.

J’en parlais justement récemment avec quelqu’un qui l’a montré à ses enfants de différents âges. Chacun à retenu une partie, une morale de l’histoire différente. Il y a plein de niveaux de lectures du film selon l’âge je trouve ça chouette !

Et pourquoi ne pas faire de la rotoscopie 100% numérique ?

MB : C’est parce qu’avant j’ai fait beaucoup de films de commande en numérique, j’en avais vraiment marre de passer mes journées sur un ordinateur. Donc j’ai voulu revenir à quelque chose de plus artisanal et même simplement pour revenir au contact du papier et du crayon. Mais aussi parce que j’en préfère l’esthétique.

On m’a dit plusieurs fois : « Tu sais c’est plus cher, et on peut trouver des brushes ». Mais pour moi il était hors de question de passer deux ans devant un ordinateur.


« Il était hors de question de passer deux ans devant un ordinateur. »


Ton film ne fait pas penser à d’autres films animés, mais plus à du Podalydès ou à du Rohmer. Tu as ces inspirations ?

MB : C’est marrant que tu dises ça parce que je ne suis pas du tout inspirée par l’animation, je pense évidemment être pétrie d’influences diverses mais ne saurais pas à quoi me relier en animation. Effectivement, je suis très inspirée par l’ambiance des films de Rohmer.

Tu t’inspires plus d’esthétique que de films ?

MB : Oui, je crois que je suis assez sensible à des cadrages, des agencement graphiques dans la composition de l’image.

Il y a comme une sorte d’austérité chaleureuse, comme une oeuvre triste.

MB : Oui, une sorte de mélancolie, c’est l’été et pourtant il y a un fond de tristesse. Le cinéma qui me plaît, c’est vraiment le cinéma de l’intime.

Comme cinéaste j’aime beaucoup Charlotte Welles, l’esthétique nostalgique. J’adore les films de Guillaume Brac aussi, cette manière un peu documentaire de capter les grands bouleversements intimes, les petits moments.

Sur une plage à peine esquissée, deux fillettes discutent en d'amusant dans leur tenue de vacance.
©Tilta Productions
Donc c’est aussi ce qu’on peut attendre de tes prochains films, rester dans l’intime ?

MB : Oui ! Je viens de terminer le scénario de mon prochain court métrage. J’en suis à l’étape du storyboard, et je suis très heureuse car on vient d’obtenir une première aide du CNC. Le film sera encore en rotoscopie au crayon de couleur, et se déroulera également l’été et sur une île. Mais cette fois ci on suit des ados ; deux meilleures amies lors de leurs premiers émois amoureux durant une sortie de classe avec en toile de fond un drame. Le ton sera beaucoup plus sombre que dans Été 96.

Que penses-tu du fait que le cinéma d’animation soit toujours une catégorie à part?

MB : Ça me rend dingue. J’étais au festival du film de Clermont Ferrand et je trouve génial qu’ils mélangent animation, documentaire et fiction dans leurs séances. Les projections sont construites autour d’une thématique et pas d’un médium ce que je trouve bien plus intéressant.

Avant, quand je disais que je faisais du cinéma d’animation, on pensait directement que c’était pour des enfants. C’est avec Persepolis (Marjane Satrapi, 2007), ou Valse avec Bachir (Ari Folman, 2008) que le regard des spectateurs a changé. Le public a compris que l’animation pouvait être à destination des adultes, un peu comme pour la BD je pense.


« J’ai l’impression qu’on revient à des films réalisés de manière plus artisanale »


Pour parler un peu des Césars de cette année : dans la sélection il n’y avait que des films 2D. Tu penses qu’il y a quelque chose qui est en train de bouger ?

MB : J’ai l’impression qu’on revient à des films réalisés de manière plus artisanale. Mes amis réalisateurs des Arts déco axent beaucoup leur travail autour des techniques artisanales – peinture animée, gravure, animation traditionnelle. C’est marrant de voir qu’on est un peu façonné par son école.

J’ai l’impression aussi qu’on va vers une animation 3D plus texturée, un peu plus humaine. Il y a eu aussi un retour avec J’ai perdu mon corps (Jérémy Perrin, 2019) d’animation 2D très virtuose, que j’adore. En fait je crois que je suis beaucoup plus exigeante avec de la 3D que de la 2D.

Tu as un exemple de film en 3D qui t’a plu ?

MB : Toy Story (rire). Là je trouve que la 3D sert énormément le propos, on comprend tout de suite la matière des jouets.

D’une manière générale, c’est plus l’aspect visuel que l’animation qui t’intéresse ?

MB : Oui, je suis plus réceptive à l’esthétique qu’à la prouesse technique. Quand je fais mon film, je réfléchis en termes de tableaux. Je me concentre sur la composition de l’image plus que sur l’animation. On m’a toujours dit que je prenais trop de temps pour dessiner chaque image, on me disait « Mais tu sais que ça va être en mouvement ? ». Sauf que quand je fais un dessin, je suis concentrée dessus, comme si je n’en faisais qu’un… sauf que j’en fais cinquante !

Récemment en 2D j’ai adoré le film Flee (Jonas Poher Rasmussen, 2021) c’était incroyable tant sur le fond que la forme. Ainsi que les Hirondelles de Kaboul (Éléa Gobbé-Mévellec et Zabou Breitman, 2019) et Ernest et Célestine (Benjamin Renner, Vincent Patar et Stéphane Aubier, 2012), Dans ces deux films justement, le travail des brushes est extraordinaire, on croirait vraiment que c’est fait en aquarelle !


« Je suis plus réceptive à l’esthétique qu’à la prouesse technique. »


Quelque chose qu’on retrouve beaucoup avec les stencils, les tests avant animation en 2D.

MB : Oui. C’est peut-être pour ça que j’ai fini par faire mon film comme ça, peu de décors, beaucoup de blanc. Ce qui me plaît c’est de voir les line-tests. J’en regarde tout le temps, c’est de la poésie pure et c’est malheureusement un peu gommé quand c’est colorisé.

Il y a justement ce côté économique, que je n’entend pas péjorativement, dans les arrières-plans. Il y a beaucoup de blancs mais c’est intelligemment rempli.

MB : C’est technique. J’adore dessiner les personnages mais je suis mauvaise en décors. J’ai beaucoup de mal à synthétiser un paysage. J’ai donc d’abord commencé représenter les personnages sur fond blanc. Le fond blanc que le spectateur doit remplir lui même. Je parle d’un souvenir, l’image est fragmentée, incomplète. Cette réinterprétation des images filmées me permet de diriger le regard du spectateur et de lui montrer ce qui m’intéresse dans l’image. (Sinon j’aurais pu en rester à l’étape de la prise de vue réelle).

Pour les décors, j’ai fait appel à Fleur Pinsard qui est extrêmement talentueuse. Elle dessine au crayon de couleur, nous nous sommes donc accordées sur une gamme de couleur pour unir nos dessins. Le décor intervient pour situer l’action et disparaît une fois que l’on sait où l’on est. Et puis on peut imaginer que ce blanc est la plage brûlante, comme si nous étions aveuglés.

Et vous étiez combien à être sur le film au final ?

MB : Pour la partie animation, on n’était pas si nombreux. Il y avait Fleur Pinsard aux décors. Quentin Letout au compositing et j’ai été aidée par trois animateurs. J’ai fait une grosse partie du film seule car j’ai mis du temps à déléguer. Mais désormais j’ai trouvé un processus de travail que j’ai hâte de mettre en place sur mon prochain court métrage.

Pour le tournage nous étions en équipe réduite : le chef-op, la première assistante, l’ingé son et les acteurs.

Sur une serviette de plage rayée de bleu, un enfant s'est endormi, tout de rouge vêtu.
©Titla Productions
En animation, le rôle de réalisateur est mélangé avec celui d’animateur. Cette double-casquette, qu’apporte-t-elle ?

MB : Comme j’avais déjà beaucoup travaillé seule sur le film et animé plusieurs séquences, j’avais acquis des connaissances qui me permettaient de pouvoir diriger au mieux les animateurs. C’était drôle au niveau logistique parce qu’on a travaillé à distance avec des animateurs bretons. C’est mon producteur qui a fait les allers-retours en voiture entre Paris et la Bretagne avec des cartons remplis de plans du films !


« L’animation est un processus très long »


C’est se projeter loin, mais tu as une ambition de long-métrage ?

MB : Tout le monde me pose cette question. Je ne m’étais pas encore autorisée à l’envisager, mais à force d’en parler ça me donne très envie (rire). J’ai conscience que l’animation est un processus très long : mes producteurs ont eu le temps de faire des longs-métrages de prise de vue réelle pendant que je faisais mon court. Quand j’écris un scénario je me demande « Est-ce que dans 3 ans j’aurais encore envie de parler de ça ? ».

Mais évidemment si je trouve une histoire qui fait sens sur le temps long, j’adorerais me lancer dans la fabrication d’un long métrage d’animation !

Ce que tu sembles dire c’est que tes films partent moins d’une envie de cinéma que d’une envie de dessin.

MB : Je crois que c’est ça, oui. Je construis l’image pour qu’elle me donne du plaisir à dessiner, c’est pour cette raison que je privilégie les plans d’ensemble et pas les gros plans, parce que c’est surtout du coloriage. Dans mon prochain court métrage, je vais inclure beaucoup de motifs car j’adore composer des images graphiques.

Et est-ce que tu t’es amusée à le faire?

MB : Oui totalement ! Sinon je n’aurais jamais tenu. Là j’ai juste envie de recommencer !

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