Pour l’occasion des 120 ans de Yasujirō Ozu, Carlotta sort un coffret DVD / Blu Ray de 6 films rare ou inédits. Le cinéaste apparaît sous un nouveau jour avec ces films, peu connus du public, qui révèlent une grande compréhension de son époque et de belles analyses de vie.
Ozu disait : « Mes règles de vie sont simples. Pour les choses qui n’en valent pas la peine, suivre la mode ; pour les choses importantes, suivre la morale ; et pour l’art, ne suivre que soi. » Grand maître du cinéma japonais, Ozu continue de vivre à travers le cinéma de ses successeurs comme Hirozaku Kore-eda, qui s’en inspire merveilleusement.
Retour sur le cinéma d’Ozu ainsi que les 6 films du coffret :
- Récit d’un propriétaire (1947)
- Il était un père (1942)
- Une femme dans le vent (1948)
- Les soeurs Munakata (1950)
- Femmes et voyous (1933)
- Dernier caprice (1961)
Le cinéaste du bonheur et du féminisme
Filmant la banalité de la vie, les choses simples et même temps l’évolution d’un pays, Ozu s’empare des sujets les plus communs et en fait des réflexions poussées sur des thèmes primordiaux comme la famille, la femme, les changements d’après-guerre et le temps qui passe.
Choisissant souvent des femmes pour en faire les héroïnes de ses récits, Ozu évoquait déjà les sujets les plus importants pour celles-ci en société : l’émancipation, l’indépendance, le choix et leur force. On peut le constater notamment dans l’excellent Les soeurs Munakata.
Le film confronte l’ancienne génération (la femme « traditionnelle » et soumise) à la nouvelle génération (le désir de liberté et d’indépendance) grâce à deux sœurs. À travers deux visions différentes de l’amour et du mariage, les deux sœurs vont s’opposer mais aussi se comprendre. Le tout dans des dialogues toujours écrits avec finesse, sincérité et intelligence. Même la sœur traditionnelle va finir par s’émanciper, cherchant l’honnêteté et la paix avec elle-même.
Dans Les soeurs Munakata, la liberté féminine est superbement décrite au fil des évolutions des mœurs et de la société. Les musiques sont toujours très belles en accompagnement de plans poétiques, intimement filmés sans que la caméra ne porte aucun jugement. L’amour et la liberté d’être soi vont de pair dans cette histoire qui n’a pas pris une ride. L’étonnement vient principalement du fait que certains sujets font encore débat en chacune des femmes.
L’homme qui aimait les femmes
Yasujirō Ozu avait vraisemblablement compris la dualité de la femme et ainsi, sa force intérieure face à une société qui n’évolue que très lentement à son égard, quel que soit le pays. Il était féministe, certes, mais il avait également cerné les diverses facettes de la puissance féminine.
Une femme dans le vent raconte l’amour infini d’une mère, mais aussi sa faculté à être capable du pire pour le bien de son enfant. Tout en restant une femme forte et affirmée dans une réalité atroce de guerre et des difficultés du coût de la vie. Ozu raconte brillamment son histoire. Avant d’être une mère ou bien une épouse, le personnage principal est d’abord une femme qui se bat différemment mais tout autant que les hommes partis à la guerre. C’est un film d’une beauté sans nom, mettant en avant l’importance de la tolérance, du pardon et de l’acceptation. Et ce, avant tout pour soi-même.
Dans Femmes et voyous, Ozu met également la femme en avant, dans un milieu d’hommes. Un milieu souvent dépeint d’une manière plus dépravée chez le cinéaste. Ce film aux allures de polar noir sous des airs mélodramatiques est l’un des moins bons de sa part. Malgré de très bonnes qualités techniques, il manque une certaine maîtrise des codes du genre pour le rendre aussi palpitant que ses autres réalisations. On lui préférera les sujets familiaux et l’émancipation de la femme, dont personne n’en parle aussi bien que lui. Mais bon, sur 53 films, on pardonnera bien un film moyen, parmi tant d’autres parfaitement exécutés…
Raconter la vie, poétiquement
Yasujirō Ozu inspire encore beaucoup de cinéastes, notamment Wim Wenders qui disait « si notre siècle donnait encore sa place au sacré, je mettrais Ozu dans un temple. »
On peut voir l’évolution d’un pays en plongeant simplement dans l’intimité d’une famille. En racontant les évolutions de la femme face au mariage, Ozu décrit les changements sociétaux. Comme par exemple dans Printemps Tardif ou dans Le goût du riz au thé vert.
Ozu avait cette magie et ce talent : avoir une caméra toujours à la hauteur humaine. Ne portant jamais aucun jugement sur ses personnages, le réalisateur japonais raconte seulement pour transmettre un point de vue. Il filme très peu l’extérieur, restant dans les maisons au sein des familles. Là où, finalement, les changements s’opèrent en premier. Ses films ne commencent et ne finissent presque jamais par des personnes.
On débute par des rues, des façades de maison, des usines, des pancartes, des bars… Et les films se terminent de la même manière. Car Ozu raconte avant tout une histoire au sein d’un environnement changeant. Et ses plans fixes sont toujours d’une grande efficacité pour chacun de ses films.
Ce sont les personnages qui vont entrer dans le champ et le cadrage, comme pour apporter une idée. Puis en quittant ce cadre, ils laissent mûrir chez le spectateur un questionnement et une réflexion. Principalement des huis-clos, les films d’Ozu dépeignent une histoire toujours différente mais sont à chaque fois dotés d’une poésie et d’une philosophie digne des grands maîtres.
Ozu, la famille envers et contre tout !
Les enfants et les pères ont aussi une importance dans le cinéma du réalisateur. Comme dans Bonjour ou Récit d’un propriétaire, Ozu donne à l’enfant une place spéciale. Dans Récit d’un propriétaire, il raconte l’histoire d’un enfant dont le père n’arrive plus à s’en occuper convenablement, subissant les affres de l’après-guerre de plein fouet. Dans cette dure fatalité de la vie, Ozu y apporte charme et humour avec des voisins qui vont aider malgré leurs réticences. Une belle leçon de vie et d’affection, toujours avec douceur malgré la dureté des histoires. Récit d’un propriétaire évoque donc avec beaucoup de sensibilité, comment un parent aimant, est capable de tout pour son tendre enfant. Les sacrifices ont un goût d’amour et la reconnaissance un goût de bienveillance.
Complètement à l’opposé, Il était un père dépeint une relation père-fils aussi forte qu’émouvante. Un père qui fait tout pour que son fils ait une éducation admirable, quitte à s’en éloigner. On va suivre l’évolution de cette relation en même temps que son fils grandit.
Dans Un dernier caprice, qui n’est pas sans rappeler certains de ses films (Fleur d’équinoxe ou encore Le goût du Saké), Ozu évoque avec délicatesse la complexité de la famille, du mariage, de la liberté féminine et ce, toujours avec une vision d’indépendance. On peut y voir ses sujets phares, mais toujours traités sous un angle différent, qui apportent aussi bien de la réflexion sur la condition de la femme, mais aussi et toujours, de la tendresse qui en émane. Ses fins sont toujours riches aussi bien visuellement que philosophiquement, et Un dernier caprice ne déroge pas à la règle.
Osez Ozu
Yasujirō Ozu a ainsi eu ce pouvoir et cette subtilité de nous livrer de magnifiques films sur la vie. Avec ses beaux comme ses pires côtés. Son cinéma ne vieillit pas ; et le cinéma avec un grand C ne le remerciera jamais assez pour la beauté et la valeur de son art. Ce coffret apporte encore plus de profondeur et de véracité dans le cinéma d’Ozu grâce à une magnifique restauration.
C’est véritablement une pure joie de retrouver ainsi, dans son meilleur écrin, le cinéaste du bonheur.