Vermines de Sébastien Vaniček : Une toile de maître

Vermines Sebastien Vanicek

Pour les amateurs de film de genre français, l’année 2023 a été fructueuse avec des propositions fantastiques et horrifiques diverses et variées. Vermines enfonce le clou, en proposant le meilleur film horrifique français de l’année. Frissons garantis.

Fort d’une expérience acquise grâce à une quinzaine d’années de courts-métrages, Sébastien Vaniček s’allie à Florent Bernard pour dépoussiérer le film d’araignées. Avec énergie et panache, Vermines trace son propre sillon avec une générosité bienvenue, digne d’un blockbuster, tout en n’oubliant jamais d’évoquer en toile de fond les problématiques liées à son arène. Avec un délicieux mélange de survival, de film d’invasion et de film de monstre, Vermines tisse la toile d’un cauchemar arachnoïde qui nous étouffe petit à petit.

« Kaleb, 30 ans, est passionné d’animaux exotiques. Un jour, il rentre chez lui avec une araignée venimeuse et la laisse accidentellement s’échapper. Les habitants de son immeuble de cité vont devoir se battre pour leur survie. »

© Tandem

Ma 6-T a craqué

Vermines s’inscrit dans la lignée de ce qu’on pourrait appeler « le film de genre se déroulant en banlieue ». Parmi ces films, on peut compter La Tour et la Gravité tout juste sortis cette année. Là où les précédents films échouaient assez tristement dans la construction de leurs enjeux, on pose ici le contexte social de manière rapide et efficace.

Lorsque l’immeuble des arènes Picasso de Noisy-Le-Grand nous est présenté pour la première fois via de jolis plans drone, on a l’impression d’entrer dans un enclos, une arène dans laquelle on ne ressortira pas vivant. L’immeuble principal en forme octogonale peut alors être vu comme une roue, dans laquelle les habitants seraient condamnés à tourner en rond. L’extérieur est dès lors inaccessible. La profondeur de champ dans le dos de Kaleb qui devient de plus en plus faible au fur et à mesure qu’il avance dans la cité au début du film vient renforcer ce sentiment.

Microcosmos

Comme partout, il existe des individus qui font de mauvais choix. Et comme partout il y a des nuances à apporter. La cité se présente comme un microcosme où les habitants se connaissent, se soutiennent, s’apprécient et font preuve de politesse les uns envers les autres. En prenant le temps de poser leur cadre, les scénaristes construisent la complémentarité de Kaleb avec son immeuble, ainsi que les souvenirs qui l’y retiennent donnant au récit une couche de tendresse bienvenue.

Avant de jouer avec le destin quasi-funeste de ses personnages, Sébastien Vaniček prend le temps de nous présenter ses héros et la dynamique qui les lie. Que ce soient les conflits familiaux, les non-dits amicaux ou la banalité d’un quotidien où il faut absolument s’en sortir, les protagonistes sont tout de suite identifiables et attachants.

Cette synergie est renforcée par l’alchimie évidente entre les différent.e.s acteur·rices. Théo Christine, Lisa Nyarko, Jérôme Niel, Finnegan Oldfield, et Sofia Lesaffre jonglent avec une palette d’émotions remarquable, nous faisant passer du rire aux larmes. L’horreur et la comédie sont les facettes d’une seule et même pièce, et Vermines le comprend très bien.

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En bande-son désorganisée

Toutefois, certains pourraient trouver le film braillard : ils auront raison. La plupart des personnages éprouvent des difficultés à communiquer entre eux en raison d’un manque d’écoute mutuelle et/ou un isolement délibéré, car ils pensent  pouvoir s’en sortir seuls. Chacun a droit à son heure de gloire, renforçant l’aspect collectif et divertissant du film. 

Pour autant, si ces scènes sont relativement bien construites et touchantes, elles finissent par handicaper le récit. Le derniers tiers du film verse malheureusement trop dans le pathos, avec des dialogues sur-explicatifs. À trois reprises, le spectateur pourra avoir l’impression de voir le « all is lost » de Vermines, et s’attendre à ce que le long-métrage se termine.

Air Max TN

Pour autant, ces quelques défauts n’entachent en rien le plaisir que l’on prend à visionner Vermines. Le film comprend parfaitement son sujet, et le public à qui il s’adresse : les jeunes. Que ce soit via ses partenariats (Nike, Apple, Venom), ou le fait que Kaleb travaille dans le resell, l’arène urbaine est exploitée du début à la fin avec un soin du détail qui n’est jamais éludé. Il n’hésite pas à détourner des codes que la société française assimilerait à la racaille (ici les sweats à capuche) pour les rendre utiles et nécessaires à la survie des personnages.

Le hip-hop démontre encore une fois qu’il a sa place à jouer dans le scoring, qu’il peut se mêler parfaitement à l’image dite de cinéma. La série Mortel (Netflix) l’avait d’ailleurs bien compris, et on pourrait dire qu’elle a marché pour que Vermines puisse courir. Des titres de Benjamin Epps, Laylow ou encore Osirus Jack viennent se coupler avec le montage énergique typique des clips de rap. Impossible de ne pas dodeliner de la tête et de s’extasier.

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L’étoile et l’araignée

La principale qualité de Vermines réside dans sa capacité à suivre les conventions du genre du film de monstre tout en offrant un divertissement habilement conçu. La caméra joue habilement avec toutes les peurs liées à cette créature – le fait de la voir ou non, le fait de l’imaginer, de la sentir sous sa peau.

Les séquences horrifiques – que ce soit les jumpscares ou les bribes de body horror – fonctionnent à merveille, comme ce montage morbide ou les victimes des araignées apparaissent dans les différents lieux de l’immeuble ou la fameuse séquence du couloir, où la caméra tourne sur son axe tout en faisant un travelling arrière dévoilant une sinistre masse grouillante. Cette même masse grouillante est d’ailleurs incarnée par un sound design précis et affûté. Le cliquetis des araignées nous met dans un état de malaise constant, le tout mêlé aux voix des personnages qui hurlent à pleins poumons.

Pour accentuer la crédibilité de l’invasion, les équipes ont sélectionné une araignée que l’on pourrait croiser dans nos appartements et maisons : la heteropoda maxima. Grâce à la Ferme Tropicale, Vaniček et son équipe ont employé de véritables araignées tout en s’associant avec deux cadors des effets visuels : l’Atelier 69 et McGuff. Cette fusion de techniques aboutit à un résultat remarquable qui nous scotche à nos sièges. Difficile de ne pas se gratter à la fin de la séance.

Le Règne animal

Dès son générique assourdissant de maîtrise et monté avec le très énergique morceau .RAW de Laylow, le film dénonce le trafic et la condition des animaux enfermés dans des cages ou des boîtes. Sébastien Vaniček et FloBer filent la métaphore de l’araignée avec la symbolique de la xénophobie et du racisme. Confronté à quelque chose d’étranger (étymologiquement parlant) les humains ont tendance à réagir de manière violente.

En réaction, humains comme animaux adoptent le darwinisme, les poussant à se développer pour contrecarrer l’espèce dominante. Le venin de la peur irrigue alors les cœurs de tout un chacun, renvoyant évidemment à la réalité française actuelle. Dès lors, qui sont les vermines ? Les habitants de la cité ? Les araignées ? Les policiers ? Les humains qui saccagent la planète et par extension l’habitat naturel des créatures qui y vivent ?

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Avec Vermines, Sébastien Vaniček signe un huis-clos horrifique immersif et divertissant, usant judicieusement de l’arachnophobie pour délivrer un commentaire social fort et actuel. Chaussez vos meilleures Nike TN, et laissez-vous séduire par le venin d’Arachné. 

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