Une Vie Secrète (La Trinchera Infinita) rendhommage aux 400 000 victimes de Franco et à ses milliers de résistants républicains.
Alors que le cinéma mondial a très largement filmé les ravages de la deuxième guerre mondiale, du fascisme italien, du nazisme allemand et de l’impérialisme japonais, un régime totalitaire contemporain est tragiquement resté dans l’ombre de la caméra : le franquisme. Sortir ce drame de l’obscurité, telle semble être la mission du trio de réalisateurs Jon Garaño, Aitor Arregi, et José Mari Goenaga, qui avec Une Vie Secrète (La Trinchera Infinita) rendent hommage aux victimes de la terreur blanche
Bien sûr, parmi les plus célèbres récits sur le régime de Franco, il y eut la fable poétique et déchirante de Guillermo Del Toro, Le Labyrinthe de Pan. L’enfance martyrisée par le régime du Caudillo fut également illustrée dans Cria Cuervos de Carlos Saura. Il y eut aussi la génèse du mal, filmée par Alejandro Amenabar dans Lettres à Franco en 2019. Mais Une Vie Secrète est probablement le premier film à nous plonger aussi viscéralement dans la guerre civile espagnole, dans une fresque monstre jetée de 1936 à 1976.
Le championnat du monde du cache-cache
La Trinchera, c’est la tranchée, le fossé où Higinio (Antonio de la Torre), républicain traqué par les milices franquistes, doit se cacher dès le début de la guerre civile. Terré dans sa propre maison, il doit fuir ses voisins, ses anciens amis, prêts à le trahir au moindre chuchotement, alors que les murs du village ont subitement des oreilles. Seule sa femme récemment épousée, la belle et courageuse Rosa (Belén Cuesta, élue meilleure actrice aux Goyas 2020) le soutient et le cache aux yeux du monde.
Vous connaissiez le western spaghetti, apprêtez-vous à découvrir le survival paëlla. Si le cinéma ibérique s’est fait une spécialité des films de genre depuis vingt années, Une Vie Secrète en réalise la synthèse en 2h26 : les trois premiers chapitres, à l’action frénétique, sont tendus et violents comme un Rambo dans la sierra andalouse. Les trois suivants, claustrophobiques et paranoïaques, convoquent le huis-clos d’enfermement. Les trois derniers avant l’épilogue, sont ceux du thriller d’espionnage, tendance Fenêtre sur Cour. Ces changements de style dynamisent formidablement le récit, transfigurent ses émotions, et pourtant la caméra ne quitte jamais le héros. Nous ne voyons jamais au delà de son horizon, ses yeux sont les nôtres, son enfermement aussi. Nous vivons sa résistance par procuration, grâce à la magie de la mise en scène. La notion du temps et des jours qui défilent devient floue, grâce aux ellipses qui scindent ces vies morcelées.
Enfermés dehors
Faut-il vivre un jour comme un lion ou cent ans comme un mouton ? A ce stade de l’enfermement, l’enjeu devient moins la peur de mourir, que la peur de ne pas vivre. La peur de passer à côté de son existence, de n’être devenu que le fantôme du héros que l’on était. De ne plus retrouver la lumière, comme l’Espagne ne trouve plus la sienne. Telle est l’existence de Higinio et de ses camarades de la bando republicano, enterrés vivants dans leurs villages. Une Armée des Hombres, que l’histoire avait oublié de libérer. Le débarquement américain de 1944 ne fit pas de crochet vers Madrid, pas plus que l’avancée de l’Armée Rouge, et il fallut attendre la mort de Franco pour libérer le pays de la dictature.