Pluie Noire : Les conséquences de la bombe

En mai 1989 sortait dans les salles nippones Pluie Noire de Shōhei Imamura, un drame bouleversant qui revient sur les conséquences du bombardement d’Hiroshima cinq ans après la catastrophe. En 2020, soixante-quinze ans après les évènements, Pluie Noire ressort en salles le 29 juillet dans une toute nouvelle version restaurée à l’initiative de La Rabbia, pour que personne n’oublie cet évènement qui a changé à jamais le cours de l’Histoire.

Hiroshima, huit heures et cinq minutes, quelques minutes avant l’horreur. Pluie Noire de Shōhei Imamura s’ouvre sur les troublants instants de calme précédant les terribles évènements du 6 août 1945 ; sur ses scènes de la vie quotidienne des habitants d’Hiroshima, encore insouciants et confiants à propos de leur avenir qu’ils ne savent pas encore condamné par le bombardement. Une séquence d’ouverture incroyablement sereine qui contraste inévitablement avec son effroyable issue ; l’amoncellement de cadavres et la parade de corps mutilés à travers les rues de la ville suite à la déflagration causée par « l’éclair ».

Pluie Noire est le seizième – et l’un des derniers – film de Shōhei Imamura, illustre réalisateur de La Ballade de Narayama (Palme d’Or du Festival de Cannes de 1983). Dans ce film réalisé en 1989, Shōhei Imamura revient sur la catastrophe nucléaire qui a profondément et durablement marqué la ville d’Hiroshima. Si Pluie Noire aborde dans sa séquence d’ouverture la catastrophe en elle-même et les nombreux dégâts matériels et physiques qu’elle a causé,  il s’agira ensuite pour Shōhei Imamura d’amener son récit vers les conséquences de l’explosion sur les âmes, les esprits mais aussi sur les corps et les cœurs des survivants.

Un soldat tire un corps des décombres causés par la bombe Pluie Noire
© La Rabbia

Un pays meurtri

Hiroshima, 1950, quelques années après l’horreur. On suit désormais Yasuko (Yoshiko Tanaka), une jeune fille touchée par la « pluie noire » causée par l’explosion d’une cuve de mazout – l’une des innombrables conséquences malheureuses du bombardement – alors qu’elle se rendait chez son oncle Shizuma (Kazuo Kitamura) par la mer. Personne ne le savait à ce moment-là, cependant Yasuko, comme tous les autres passagers de ce bateau touché par la « pluie noire », ont été dangereusement exposés aux radiations nucléaires émises par la bombe.

En 1950, Hiroshima n’est déjà plus la même et ne le redeviendra jamais. La société aussi change durablement, et de profondes scissions se créent au sein de la communauté entre les personnes victimes du bombardement (les hibakusha) et celles qui n’y ont pas été exposées directement. Les habitants de la ville doivent se procurer régulièrement un certificat de « bonne santé », afin de prouver à leur entourage qu’ils ont été épargnés par les conséquences du bombardement nucléaire. Si Yasuko doit obtenir son certificat, c’est pour assurer à la famille de son futur mari qu’elle ne présente aucune pathologie susceptible d’écourter ses perspectives d’avenir, avant d’être finalement rejetée par cette future belle-famille qui s’inquiète des conséquences de cette fameuse « pluie noire »…

L’éclair qui est en nous

Si Pluie Noire traite avant tout des conséquences à long terme du bombardement sur la santé physique et psychique des habitants, le film démontre également comment la structure même de la société en vient à être profondément bouleversée. Bien que le Japon soit libéré des chaînes de la guerre depuis cinq années, la ville d’Hiroshima reste prisonnière d’un mal terrible. Si ses tentatives de mariage sont infructueuses, c’est parce que Yasuko est lucide et comprend très rapidement la nature du mal qui ronge sa communauté. Yasuko est emprisonnée malgré elle, à cause de la catastrophe et des retombées de la « pluie noire » sur sa santé.

Yasuko et ses grands-parents après l'explosion Pluie Noire
© La Rabbia

Elle se sait atteinte du même mal qui vaut à tous ses proches de disparaître un à un, des années après l’explosion. Car en effet, les morts des « irradiés d’après » augmentent jour après jour et l’oncle de Yasuko perd ses amis l’un après l’autre tandis que sa femme souffrante est en proie à des hallucinations durant lesquelles elle voit littéralement la mort. Les personnages du film parlent de la catastrophe comme d’un mal intérieur qui les ronge progressivement,  de « l’éclair » qui est en eux et qu’ils doivent cacher de tous. Ce mal est insidieux car il se propage lentement. « L’éclair » diffuse son poison des années durant, condamne ses victimes avant même qu’ils ne s’aperçoivent de sa présence et détruit tout sur son passage bien avant que celui-ci ne devienne létal.

Dans un monde où les « hommes et femmes de l’éclair » sont devenus des parias, condamnés à attendre que la mort ne s’empare d’eux, les plaies de l’âme et du cœur ont causé autant de souffrances que les dégâts physiques causés par le bombardement. Certains hibakusha ont perdu leurs conjoints, leurs enfants, leur foyer… quand d’autres ont perdu la raison. C’est le cas du personnage de Yuichi (Keisuke Ishida) un ancien militaire atteint d’un sévère syndrome post-traumatique se déclenchant à chaque fois qu’il entend le bruit d’un moteur.

Dans une séquence impressionnante – dont les fulgurances de réalisation n’ont rien à envier à celles du Contes de la lune vague après la pluie (Ugetsu) de Kenji Mizoguchi – Shōhei Imamura réussit brillamment à faire ressentir ne serait-ce qu’un court instant toute la force des maux dont est atteint Yuichi. La guerre et son issue fatale aura mutilé les esprits autant qu’elle a mutilé les corps.

La jeune Yasuko mange de l'aloe vera Pluie Noire
© La Rabbia

Dans la dernière séquence de Pluie Noire, alors que Yasuko quitte la maison de son oncle Shizuma, celui-ci ne renonce pas à l’espoir et affirme qu’il reverra sa nièce lorsque sera visible dans le ciel un arc-en-ciel aux cinq couleurs éclatantes. Seulement, dans une société meurtrie et divisée par la catastrophe, comment se reconstruire et panser ces blessures encore vives pour laisser apparaître l’arc-en-ciel ? Comment voir à nouveau l’arc-en-ciel aux cinq couleurs éclatantes dans un ciel mutilé par la « pluie noire » ? En 2020, soixante-quinze ans après les événements, on réalise que c’est grâce au devoir de mémoire et sa transmission aux générations futures que l’arc-en-ciel peut finalement réapparaître dans le ciel pansé de la ville d’Hiroshima.

Disponible sur Arte.tv

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