UN HIVER À YANJI | Interview d’Anthony Chen

Dix ans après avoir reçu la Caméra d’Or à Cannes pour Ilo Ilo, Anthony Chen revient avec Un hiver à Yanji, cette fois-ci sélectionné dans la catégorie Un certain regard.

Changement d’horizon pour le réalisateur singapourien, qui nous invite maintenant à découvrir la rencontre de trois jeunes adultes dans le nord de la Chine, près de la frontière nord-coréenne. Entretien avec Anthony Chen.

« C’est l’hiver à Yanji, une ville au nord de la Chine, à la frontière de la Corée. Venu de Shanghai pour un mariage, Haofeng (Liu Haoran) s’y sent un peu perdu. Par hasard, il rencontre Nana (Zhou Dongyu), une jeune guide touristique qui le fascine. Elle lui présente Xiao (Qu Chuxiao), un ami cuisinier. Les trois se lient rapidement après une première soirée festive. Cette rencontre intense se poursuit, et les confronte à leur histoire et à leurs secrets. Leurs désirs endormis dégèlent alors lentement, comme les paysages et forêts enneigées du Mont Changbai. »

Liu Haoran, Zhou Dongyu et Qu Chuxiao au mont Changbai, dans Un hiver à Yanji
© Nour Films

A lire : notre critique de Un hiver à Yanji


Il y a une scène où l’on voit une femme chanter Arirang, qui est probablement une des chansons coréennes les plus patriotiques. Pourquoi avoir décidé de l’inclure dans un film qui se déroule en Chine ? Est-ce que dès que votre envie de faire ce film est née, vous aviez envie de mettre en avant les cultures chinoises et coréennes ?

Anthony Chen : Ce qui est intéressant à propos de ce film, c’est qu’en l’écrivant, j’ai découvert la ville, Yanji. Je n’y étais jamais allé, je l’ai littéralement découverte sur les réseaux sociaux. Je savais que je voulais que le film se finisse dans un paysage naturel, avec toute cette neige blanche, dans un hiver très froid. Mais pour faire cela, je devais aller dans le nord de la Chine. J’ai trouvé cette montagne [NDLR : le mont Changbai] sur Google Maps. Avec mon producteur, on l’a escaladé et on a vu le Lac du Paradis pour la première fois. À ce moment-là, je savais qu’il fallait que je filme à cet endroit.

Je regardais les villes avoisinantes sur les réseaux sociaux : elles se ressemblaient toutes, seule celle-ci sortait du lot. Je n’avais jamais vu une ville en Chine avec autant de culture coréenne. Quand tu regardes les bâtiments, les panneaux, ils sont en chinois et coréen. Et puisque c’est à la frontière nord-coréenne, la moitié de la population est d’origine coréenne. À cause de ces éléments, je me suis dit que c’était l’endroit parfait – avec une énergie étrangère, onirique, surréelle – pour raconter l’histoire de trois jeunes personnes perdues dans leurs vies.

Je connaissais évidemment très bien cette chanson puisque c’est une chanson coréenne très célèbre. En regardant les paroles, j’ai vu qu’elle parlait de cette montagne. Quand j’ai décidé de situer la fin du film là-bas, j’ai fait beaucoup de recherches dessus. L’histoire à propos de l’ours et du tigre est une légende coréenne de cette montagne, ce n’est pas moi qui l’invente !

Le script a, je crois, été écrit assez vite avant le tournage. Les acteurs ont-ils pu participer à l’élaboration de leurs personnages ?

Anthony Chen : Je suis un réalisateur très têtu, donc je n’autorise pas mes acteurs à réellement improviser : ce qui est sur la page est sur la page. Mais comme j’ai sélectionné les trois acteurs avant d’écrire le script, j’ai ajouté beaucoup de détails basés sur eux. Par exemple, pour Xiao, l’acteur [Qu Chuxiao] aime faire de la moto. J’ai regardé toutes ses interviews, et j’en ai vu une où il parle de sa moto, donc je l’ai inclus à son personnage. J’ai aussi vu sur Wikipédia qu’il avait commencé à apprendre la guitare classique à dix ans, donc j’ai écrit une scène de guitare. Pareil pour l’actrice [Zhou Dongyu] : j’avais l’idée que son personnage serait une athlète, et j’ai trouvé que vers onze ou douze ans, elle faisait de la gymnastique et qu’elle avait été sélectionnée pour s’entraîner professionnellement comme gymnaste. J’ai senti qu’elle aurait bien pu saisir ce personnage.

Le processus de création était assez différent de mes autres films. Au lieu d’arriver avec une idée arrêtée et de tout décider moi-même, j’ai autorisé les acteurs que j’ai choisis et les lieux à influencer le film. C’est pour cela qu’il y a un sentiment de liberté dans le film.


« À un moment, j’avais l’espoir de tourner un film en France »


Qu Chuxiao dans Un hiver à Yanji, film d'Anthony Chen
© Nour Films
Vous avez cité vos inspirations françaises, comme Jules et Jim ; vous avez aussi déjà filmé en Grèce, donc pourquoi pas un jour tourner en France ?

Anthony Chen : À un moment, j’avais l’espoir de tourner un film en France. Il y a un livre qui m’avait été envoyé il y a des années et j’en suis tombé amoureux. Mais il a déjà été adapté il y a quelques années par un célèbre réalisateur français, François Ozon. Le livre, c’était Tout s’est bien passé. J’ai été réellement ému en le lisant.

Dans Wet Season on voit le personnage principal, une enseignante, parler en chinois, à qui les autres enseignants répondent toujours en anglais. Cela participe à une critique de Singapour, alors que dans Un hiver à Yanji, on voit les personnages parler soit en chinois, soit en coréen, ce qui est ici présenté de manière neutre. Le but était-il de faire un film plus universel ?

Anthony Chen : Je ne sais pas si le mot « universel » est juste, mais durant la pandémie j’ai lu beaucoup d’articles sur les jeunes autour du monde. Dans la gen Z, surtout chinoise, on pouvait sentir de l’anxiété, de la mélancolie. Tu te sens abandonné par tes parents, les générations passées, la société, le gouvernement… Je voulais capturer cette mélancolie collective, dans laquelle je pouvais profondément me reconnaître, car j’étais particulièrement déprimé durant la pandémie. Dans le film, les jeunes et leurs valeurs peuvent être vus comme une critique de la société chinoise.

Est-ce qu’Un hiver à Yanji est une sorte de parenthèse dans votre filmographie ? We Are All Strangers est déjà prévu, il ressemblera sûrement déjà plus à vos anciens films.

Anthony Chen : Je pense que le processus de création de ce film va définitivement affecter la façon dont je réalise des films dans le futur. J’ai appris que si tu veux trouver de nouvelles choses, tu dois en poser d’autres. Si tu recherches quelque chose de nouveau, il faut lâcher prise. Mais est-ce que je serais assez fou pour refaire un film de cette façon… probablement pas !

Laisser un commentaire