Un hiver à Yanji signe le retour en beauté d’Anthony Chen, qui nous immerge dans un univers presque onirique entre le quotidien de jeunes chinois désabusés et la beauté du folklore local.
Ilo Ilo (2013) avait ému par son récit poignant, traitant d’une famille et de leur domestique immigrée face à la crise économique. Wet Season (2019) mettait en lumière les difficultés d’intégration d’une professeure sino-malaisienne à Singapour. Drift, passé à Sundance en janvier dernier, montrait les difficultés d’une autre immigrée, libérienne cette fois, en Grèce. Tout le cinéma d’Anthony Chen est tourné vers les déplacés, ceux qui doivent quitter leur chez-eux pour un ailleurs. Il revient avec un quatrième long-métrage tout aussi fort : Un hiver à Yanji.
« C’est l’hiver à Yanji, une ville au nord de la Chine, à la frontière de la Corée. Venu de Shanghai pour un mariage, Haofeng (Liu Haoran) s’y sent un peu perdu. Par hasard, il rencontre Nana (Zhou Dongyu), une jeune guide touristique qui le fascine. Elle lui présente Xiao (Qu Chuxiao), un ami cuisinier. Les trois se lient rapidement après une première soirée festive. Cette rencontre intense se poursuit, et les confronte à leur histoire et à leurs secrets. Leurs désirs endormis dégèlent alors lentement, comme les paysages et forêts enneigées du Mont Changbai. »
Quand te reverrai-je, pays merveilleux
Contrairement à ses deux premiers longs métrages, Ilo Ilo et Wet Season, Un hiver à Yanji ne se déroule pas à Singapour, d’où Anthony Chen est originaire, mais dans le nord de la Chine, près de la frontière nord-coréenne. Dans cette région, chinois et coréens se mélangent : le film commence d’ailleurs par un mariage entre un chinois et une coréenne.
Malgré ces changements de décor, nous retrouvons tout de même des thèmes similaires aux œuvres passées du réalisateur : le film est centré sur des « outsiders » comme il le dit lui-même, qui à travers une rencontre, vont réussir à aller de l’avant, à rebondir alors qu’ils semblaient originellement bien maussades, coincés dans une certaine passivité.
Sans rien réinventer, le film arrive à nous plonger dans le séjour de Haofeng à Yanji, de manière presque hypnotique. Les personnages n’ont pas besoin d’en dire beaucoup pour nous faire vibrer à leurs côtés. Par ailleurs, la musique, que l’on doit à Kin Leonn, intensifie avec brio le dynamisme du film.
Briser la glace…
Un hiver à Yanji nous offre une belle contradiction : alors que le film donne à voir toute la beauté de Yanji, son trio principal, qui s’y trouve sans trop l’avoir voulu, y semble coincé. Comme la montre de Haofeng, bloquée à la même heure, notre trio principal semble se trouver dans une bulle éphémère, hors du temps, avant de trouver le courage de se lancer et de vivre, inspirés par leur rencontre.
La montre de Haofeng est aussi représentative de sa classe sociale : il ne vient pas du même monde que ses deux nouveaux amis. Il travaille dans la finance à Shanghai alors que Nana est une guide touristique et Xiao, cuisinier. Haofeng étant ici seulement pour un mariage, on ne le verra jamais à son travail, qui semble si éloigné de la vie à Yanji. Les appels réguliers qu’il reçoit, le sommant d’aller en psychothérapie, nous rappellent que ce séjour n’est qu’un moment dans le temps, loin de sa vraie vie ; (presque) personne ne peut échapper à l’aliénation sociale.
…sans en faire des montagnes
Un hiver à Yanji est l’un de ces films où la parole est secondaire, la beauté des gestes fait tout : Nana qui verse une larme lorsque Xiao joue une chanson, la main de Haofeng sur Nana à travers le rideau de douche, les balades en moto à trois, le passage d’un glaçon entre le trio, bouche à bouche… peu est révélé sur la situation de ces trois jeunes, pourtant cette histoire résonne tout de même en nous : le film n’a pas besoin d’être précis pour toucher son public au cœur.
Un hiver à Yanji rentre moins dans les détails des normes sociétales que les précédents longs-métrages du réalisateur. C’est un film devant lequel il faut se laisser porter, moins formel, plus abstrait, mais tout aussi fort en émotions. Le fait qu’Anthony Chen ait passé beaucoup moins de temps sur l’écriture ne surprend pas. Cette plus grande liberté dans l’écriture se ressent à travers ce message d’évasion qui ressort du film. Les désirs aussi ardents que la glace de nos trois personnages font honneur au titre original du film, Ran Dong, qui signifie littéralement hiver brûlant.
Malgré les plans sur des blocs de glace et la neige à perte de vue, l’humanité de Un hiver à Yanji réchauffera facilement les cœurs des spectateurs. Difficile de juger si Chen a réussi son défi de brosser un portrait juste de la jeunesse chinoise sans être familier de cette société, mais une chose est sûre : il est parvenu à réaliser un film bienveillant et esthétique, avec un joli hommage à la nouvelle vague française.