Le cinéma coréen à le vent en poupe depuis quelques années. Après des mastodonte comme Bong Joon-ho ou Park Chan-wook, il est temps de s’intéresser au nouveau souffle d’un cinéma vif et inventif.
Premier long-métrage de Jason Yu dont vous pouvez trouver la critique ici, Sleep est un film dur à catégoriser. Riche, généreux et éclectique, le réalisateur à accepté de se livrer à notre micro pour répondre à quelques questions.
“La vie de jeune couple de Hyeon-soo (Lee Sun Gyun) et Soo-jin (Jung Yoo Mi) est bouleversée quand le mari devient somnambule et se transforme en quelqu’un d’autre la nuit tombée. Sa femme, submergée par la peur qu’il fasse du mal à leur nouveau-né, ne trouve alors plus le sommeil…”
J’étais donc hier à la projection au UGC des Halles, où vous avez dit être un fan de comédies romantique, alors je me demandais simplement quelles étaient vos romcom favorites ?
JASON YU : Ah oui, c’est vrai ! Je ne sais pas si c’est vraiment une comédie romantique, mais j’adore Eternal Sunshine of the spotless mind de Michel Gondry. Il y a aussi Silver Lining Playbook (Happinness Therapy en France) de David Owen Russell. Oh et Notting hill (Coup de foudre à Notting Hill de Roger Michell) ! Et Antonin, qui travailles pour Jokers Film m’a recommandé son film préféré, Un homme et une femme (Claude Lelouch), le meilleur film de romance ! J’aime aussi beaucoup les films très populaire, comme celui avec Hugh Grant et Julia Roberts… Love Actually ! De Richard Curtis, mais la liste pourrait continuer encore et encore.
Je comprends totalement, mais est-ce que vous pensez que des films comme ça peuvent être des inspirations directes pour faire de l’horreur ?
J.Y : Pour l’horreur ? Non je suis pas sûr, mais ce sont de grandes inspiration pour moi, parce que ma passion des comédies romantiques m’a beaucoup influencé sur l’écriture de Sleep. C’est peut-être pour ça que pour les deux personnages principaux, je me suis concentré sur leur relation maritale, plus que sur le côté réaliste et horrifique du somnambulisme. Je voulais vraiment garder l’aspect romantique présent, surtout inconsciemment, je pense, à cause de mes influences.
« Ce genre de symptômes, on peut les amplifier encore et encore jusqu’à ce qu’ils deviennent une menace, et je pense que c’est ce que représente Sleep. »
Oui d’autant plus que vous nous avez dit vous être aussi inspiré de votre propre vie, notamment avec votre femme.
JASON YU : Oui et c’est drôle d’ailleurs car la première du film à la semaine de la critique de Cannes tombait en même temps que notre premier anniversaire de mariage, c’est une date qui a deux fois plus d’importance pour nous ! (rire)
Et donc vous avez choisi de parler du somnambulisme et l’avez accolé à ces personnages et leur relation, et étant inspiré de votre vie je me demandais si vous connaissiez quelqu’un où vous-même faisiez du somnanbulisme ? Sinon d’où vient cet intérêt ?
J.Y : Alors pas du tout, je ne suis pas somnambule. Mais c’est vrai que j’ai de mauvaises habitudes de sommeil qui terrifie ma femme encore aujourd’hui. Je ronfle fort et je fais de l’apnée du sommeil, ça fait très peur à ma femme parce que j’arrête de respirer en plein milieu de la nuit et donc elle se demande si je vais reprendre mon souffle à un moment, puis elle se rendort. Je ne crois pas que ça soit une inspiration directe pour le film, mais peut-être que c’en est une inconsciente. Parce que ce genre de symptômes, on peut les amplifier encore et encore jusqu’à ce qu’ils deviennent une menace, et je pense que c’est ce que représente Sleep.
Après, je pense que mon intérêt vient plutôt des histoires morbides qu’on peut voir sur internet ou dans des articles sur des somnambules. Tout le monde en a déjà entendu une. J’en ai parlé lors de la conférence UGC, des gens qui sautent de leur fenêtre, qui conduisent en dormant ou qui blessent leurs proches, et je me suis demandé à quoi pouvait ressembler le quotidien de ces gens-là. Mais surtout comment leurs proches, qui sont tout le temps avec eux, gèrent ça et je me suis dit que ça faisait un bon film d’horreur.
Le film est très concentré sur le personnage sur la protagoniste, et il y a assez peu de personnages. De plus on ne sort que très peu de leur immeuble, pourquoi se débarrasser des espaces que vos personnages occupent, comme Soo-jin, qu’on ne voit que très brièvement à son travail, ou Hyeon-soo qu’on ne voit qu’à la télé ?
JASON YU : Je ne suis pas sûr, mais je pense que même quand je faisais des court-métrages, j’avais beaucoup de contraintes de formes ou de localisation. Peut-être que j’aime être économique, faire le plus possible avec le moins possible. Je ne crois jamais l’avoir dit, mais la première version du film était pensée en found footage, donc tout était à l’intérieur de l’appartement. Mais ça ne fonctionnait pas, ça ne ressemblait pas à un film et ça ne me semblait pas intéressant alors j’ai mis le film de côté.
Puis quand l’idée est revenue, je me suis dit que ça pourrait être intéressant sous un aspect de drame plus normal. Alors nous avons changé l’histoire pour en faire une histoire narrative plus classique, tout en gardant l’histoire à l’intérieur de l’appartement. Puis ensuite je l’ai presque prit comme un défi « si vous êtes allé aussi loin en intérieur, pourquoi ne pas faire encore plus ? ». Et donc tout garder dans l’appartement. Comme on dit « la liberté par la contrainte », et avoir cette contrainte m’a permis de trouver de nouvelles idées pour garder l’histoire en intérieur en restant divertissant, amusant et efficace !
Et aussi en parlant d’absence, il y a très peu de présence masculine. Il y a Soo-jin, sa mère et la voisine qui sont les personnages les plus actifs du film. Mais Heyon-suu, le docteur où même le vieux voisin semblent plutôt passifs à côté des femmes du film. Est-ce que ça reflète une certaine charge mentale, le fait que dans un couple, et surtout dans la parentalité, on attend d’une femme qu’elle fasse plus qu’un homme.
J.Y : Autant je pense que c’est vrai, à cent pour cent, mais il n’y avait pas spécialement de volonté de dénonciation en faisant le film. Vous savez on dit qu’un film est la réflexion des gens qui l’ont fait. Et la réflexion d’un individu est aussi celle de la société dans laquelle il évolue. Et ça doit effectivement refléter ma vision de la société et du quotidien, oui ça à du se fondre dans le film.
Cela étant, je pense que j’ai surtout été influencé par ma relation avec ma femme. J’ai réalisé, après avoir écrit le scénario et lui avoir montré, quand elle m’a dit « mais pourquoi écris-tu sur nous ? », que le personnage du mari était m’était très similaire, et celui de sa femme à la mienne. Sur le côté actif ou passif et sur notre vision du mariage ou de la résolution des problèmes, ça a dû être projeté sur mes personnages et dans la dynamique du film.
« On dit qu’un film est la réflexion des gens qui l’ont fait »
Il n’y a pas beaucoup de clichés dans le film alors qu’il aurait pu l’être bien plus, pas beaucoup de sang, de cris, de pleurs où ce genre d’écueils classiques mais souvent nécessaire à l’horreur. C’est surtout bien balancé entre ce qui est censé être horrifique et ce qui ne l’est pas, comment avez-vous choisi cette approche du genre ?
JASON YU : Je pense que bien qu’il y ai un peu de gore, même si ça ne s’approche même pas de tout ce que j’ai pu voir à Gérardmer, c’est peut-être grâce à la confiance que j’accorde à l’imagination des spectateurs. Rien n’est plus puissant que l’imagination. Quoi qu’on puisse montrer à l’écran, ça ne sera jamais aussi fort que de laisser le spectateur l’imaginer, c’est le plus dérangeant et horrifique. C’est pour ça que pour les parties les plus frappantes surtout dans les deux premiers chapitres, j’ai vraiment voulu laisser une certaine liberté au public.
Après, dans le chapitre trois, il y a des moments plus crus où on voit la mort ou du sang, mais là c’est plus de l’ordre d’un choix stylistique. Je pense que le troisième chapitre est le moins réaliste de l’histoire, et avec ça je voulais mettre en scène ça presque avec une esthétique de documentaire. Je ne voulais plus mettre les choses en hors-champ comme la mort du chien où les bruits des voisins. Je voulais montrer frontalement jusqu’où le personnage principal pouvait aller, et je pense qu’avec les deux premières parties on donne déjà assez de place à l’imagination des spectateurs pour que la troisième créer une bonne balance.
On sent que le film est infusé de références qui ne proviennent pas de l’horreur. Est-ce que l’horreur était la volonté première du film et vous y avez accolé d’autres genre par-dessus ou bien était-ce pensé comme un patchwork de genres, ça n’a pas été compliqué à choisir ?
J.Y : Pas vraiment, mon but premier était de faire un film d’horreur divertissant. Mais c’est peut-être l’étudiant de Bong Joon-Ho qui parle mais j’essaye de mixer des sensibilités différentes, c’est vrai. Je ne peux pas parler pour tout le monde mais beaucoup de cinéastes de ma génération, qui ont grandit en regardant ses films ont ce genre d’envies. Je pense que c’est venu naturellement, même s’il y a toujours un genre de prédilection, on a toujours envie d’y ajouter un peu de réalisme, un peu de comédie ou un peu de drame. Parfois c’est un succès, parfois non, mais j’espère avoir réussi !
J’ai juste une dernière question : est-ce que vous vous êtes amusé à faire ce film ?
J.Y : J’ai eu énormément de plaisir à faire ce film. Je n’ai jamais pensé m’amuser autant en réalisant parce que je suis un réalisateur débutant et vous savez on dit que les jeunes réalisateurs sont les moins expérimentés du plateau, ce qui est absolument vrai. Les acteurs, les techniciens, j’avais peur qu’ils ne me respectent pas mais si ! Tout le monde était uni par le projet, et tous les jours on donnait tout pour que le projet soit le meilleur possible et j’espère vraiment que tous mes projets futurs seront aussi amusant que Sleep à faire.