SLEEP de Jason Yu : Crasse matinée

Un premier long métrage maîtrisé et adoubé à Gerardmer pour Jason Yu avec son Sleep (sans jeux de mots) qui remporte le Grand prix du festival. Film d’horreur ou RomCom, retour sur un succès mérité.

Élève du grand Bong Joon-ho et, de son propre aveu, fan de comédies romantiques, le jeune cinéaste digère et compresse en une heure trente une flopée de références bien senties et bien amenées.

“La vie de jeune couple de Hyeon-soo (Lee Sun Gyun) et Soo-jin (Jung Yoo Mi)  est bouleversée quand le mari devient somnambule et se transforme en quelqu’un d’autre la nuit tombée. Sa femme, submergée par la peur qu’il fasse du mal à leur nouveau-né, ne trouve alors plus le sommeil…”

Sleep Jason Yu
©The Jokers

Le jeu du patchwork

En moins de cinq minutes, le film offre tout. Une horreur glaçante, un rire franc et une histoire d’amour tangible. Comme dit précédemment, le Jason Yu s’inspire de beaucoup, et ça se voit. Mais à l’inverse d’une tentative amateure comme on le retrouve souvent dans les films étudiants, la citation n’est pas entrée au forceps dans le corps du récit. Elle se fait par la caméra, dans le jeu et dans le corps même du film.

L’ensemble, soutenue par le rythme comique et musical, agrippe et fait voguer le spectateur avec fluidité dans le récit. La potentielle immaturité du réalisateur, assumée, est parfaitement contrebalancée par ses points forts.

La structure est classique, avec quelques rebondissements menant à un climax over the top. En soit, il est facile et juste de reprocher à Sleep son manque d’inventivité narrative. Mais la richesse du film ne repose pas sur l’innovation. En revanche, c’est le tissage de ses différentes lectures qui en fait une oeuvre fascinante et, en ce sens, méritant son succès.

Motif de rupture

Dans ses motifs, ses vont-et-reviennent, le réalisateur immisce un nombre d’approches presque étonnant pour un film au pitch aussi simple.

L’enfant, nouvel arrivant de la famille, est évidemment un pilier de la structure narrative, mais il apporte bien plus qu’on ne pourrait le croire. D’abord, ce motif évident de la parentalité se trouve prit entre deux lignes parallèles.

Forcée de prendre soin de son mari, Soo-jin est affublée d’une double-tâche de mère. La charge mentale s’en trouve doublée, et la fatigue avec. Ce qui emmène cette dernière dans une paranoïa explosive dans le dernier acte. Elle ne reconnaît plus son mari : acteur du petit écran devenu homme-enfant. On voit ce dernier emmitouflé dans un sac de couchage molletonné, qu’un plan large nous figure comme s’il s’était transformé en un vers kafkaïen, incapable même de dormir.

Soo-jin, encore, glisse dans ses névroses jusqu’à devenir la figure de la folie. Même dans ses retranchements, elle garde son esprit de travail. PowerPoint au point, son investissement casse comiquement une tension dramatique à son paroxysme. À sa névrose de la parentalité s’ajouterait celle du travail.

Transformée par son statut de travailleuse, de mère et bien sûr de femme, Soo-jin se mue en un patchwork de plusieurs névroses pour n’en devenir qu’une : celle de l’âge adulte.

Les jeux sont faits

Hyeon-soo, absent de cette critique comme du film, est un personnage dans son sens pur. Acteur de profession, il est absent du film par sa présence fantomatique de somnambule. Jusqu’à la toute fin, où il est impossible de dire s’il joue la comédie entre supposée possession et jeu d’acteur.

Ce paramètre du doute applique encore une nouvelle lecture à celle de la charge mentale de Soo-jin. Ce qui pour les femmes est un enjeu de vie et un poids à porter peut n’être qu’un jeu pour les hommes.

Soo-jin est penchée au-dessus de son mari qui dort à poings fermés. Elle est inquiète de son état, à tel point qu'elle l'a capitonné dans un épais sac de couchage, pour les protéger, lui et leur enfant.
©The Jokers

Sleep marque un très bon début pour son réalisateur. En posant des questions sans forcer de réponses, il fait d’un film qui aurait pu être banal, un vrai jeu de pistes. Jason Yu marque dans son premier long-métrage, les balises d’un réalisateur à suivre.

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