Sing Sing de Greg Kwedar : Lascars Academy

Sing sing Greg Kwedar

Sing Sing, fruit d’une association intemporelle entre les  scénaristes Clint Bentley et Greg Kwedar, est une oeuvre poignante. Kwedar réalise et produit ce film adapté d’un article du magazine Esquire, qui met en lumière les bénéfices d’un programme de réhabilitation pour détenus dans un centre pénitentiaire de New York.

Sing Sing fait sa première apparition en France au Festival du cinéma américain de Deauville 2024. À ce jour, ce long métrage a remporté cinq prix et vient tout juste d’obtenir trois nominations à la prestigieuse cérémonie des Oscars 2025 dont celle pour la Meilleure adaptation de scénario. Son succès critique est donc indéniable. Toutefois, c’est un succès populaire qu’ambitionne cette histoire, aux allures, certes fantasmées, mais qui aborde des thèmes réalistes et troublants. Ainsi, Sing Sing se positionne comme un cri de dénonciation contre l’injustice systémique du système carcéral américain.

« Incarcéré à la prison de Sing Sing pour un crime qu’il n’a pas commis, Divine G (Colman Domingo) se consacre corps et âme à l’atelier théâtre réservé aux détenus. À la surprise générale, l’un des caïds du pénitencier, Divine Eye (Clarence Maclin) se présente aux auditions… »

Divine Eye (Clarence Maclin) et Divine G (Colman Domingo) sont assis l'un à côté de l'autre dans la salle de théâtre de répétitions de la prison de Sing Sing. Leurs différences corporelles et comportementales sont évidentes.
@Metropolitan Films

Chant enivrant

Inspiré d’une histoire vraie, Sing Sing nous présente une vision originale de la prison et de ses occupants, loin de l’image morose et terrifiante qu’elle évoque généralement dans l’esprit collectif. A l’appui, ses premiers plans plongent instantanément le public dans un univers visuel saturé de couleurs vives, presque oniriques. Greg Kwedar expose toute la richesse intellectuelle, l’ouverture d’esprit et la créativité culturelle de ces détenus. Aussi déstabilisante et surprenante que cette technique soit, elle captive rapidement son audience afin d’infuser un propos plus cru ultérieurement.

Le nom même de cette institution détonne avec sa fonction primaire. Sing Sing évoque un lieu d’art musical et non d’emprisonnement. Mais ici, Greg Kwedar ne fait que reprendre le nom de la prison au sein de laquelle s’est véritablement déroulée l’histoire qu’il nous conte. Ainsi, le réalisateur s’appuie sur des faits réels tout en exploitant les subterfuges hérités de la narration cinématographique, pour dépasser les préjugés qui pourraient naître à la simple mention du sujet traité. C’est de là que Sing Sing tire toute sa subtilité et toute sa force émotionnelle. 

Le semi-documentaire bouleversant

Greg Kwedar s’associe avec Pat Scola, le directeur de la photographie, pour offrir une esthétique marquante à Sing Sing. Le film adopte un style visuel à la fois précis et rétro, qui évoque l’aspect d’un vieux documentaire. Le spectateur fait face à ce qui semble être une histoire fictive joliment endossée par ce côté old school. Cette texture visuelle particulière, filmée en pellicule, se distingue de son précédent travail dans Sans un bruit : Jour 1 (2024), et témoigne de la versatilité de Scola

Les plans sont majoritairement statiques et rapprochés, renforçant une sensation de confinement cathartique. La prison, isolée du tumulte de la vie humaine libre extérieure, renferme en son sein l’humanité dans sa vulnérabilité la plus intense. En parallèle, la musique douce et apaisante qui accompagne le film génère une étrange dissociation avec la dureté de la réalité carcérale. La chanson originale, Like a Bird, jouée en conclusion, marque un point culminant émotionnel, à la fois dans l’esprit et dans le coeur. 

Making Of au théâtre

Sing Sing s’impose comme un authentique plaidoyer pour la thérapie par la pratique de l’art communautaire. Cette adaptation cinématographique valorise le programme RTA (Rehabilitation Troughts the Arts) visant à former les prisonniers à l’art du théâtre et à leur fournir une réinsertion concrète et validante à leur sortie de prison. Greg Kwedar, par sa réalisation et sa co-écriture, humanise ces personnages et dépasse la fonction très pragmatique du programme pour en exposer les bienfaits personnels et sociaux. Ainsi, performer permet une redéfinition de l’individu au-delà du statut de “gangster” qui lui est attribué de façon préjudicielle.

Contrairement aux nombreux drames, inspirés de l’héritage de Shakespeare, que développe ce  programme, Sing Sing explore l’écriture et la mise en scène d’une pièce comique. Ces comédiens/prisonniers, certes initialement décontenancés, réalisent à quel point il est également nécessaire de se faire rire malgré l’impossible sentence qui pèse constamment sur leurs épaules. Ils s’accordent même à dire qu’il est plus difficile de faire rire leur public que de le faire pleurer. Greg Kwedar parvient alors à susciter ces deux émotions distinctes mais complémentaires dans ce drame vibrant de compassion.  De ce fait, le programme RTA permet également à ces prisonniers de se réconcilier avec leurs émotions et d’explorer leur sensibilité masculine. Trois années de travail ont été nécessaires pour construire un script aussi vivant et émouvant.

Greg Kwedar (réalisateur) et Colman Domingo (Divine G) entrain de répéter une scène de Sing Sing assis sur les escaliers menant à la prison.
@Metropolitan Films

Une dénonciation vibrante

Greg Kwedar structure habilement son film en plusieurs actes, à la manière d’une véritable pièce de théâtre. Dans la première partie, il initie subtilement le public à la réalité de la vie en prison. Les répétitions seront entrecoupées de moments inhérents à la vie pénitentiaire : confinement, fouilles, procès, manque d’intimité et véritables paranoïas au regard des traumatismes vécus. À travers ce contraste, Greg Kwedar souligne l’importance de l’art comme échappatoire à une vie de souffrance. 

Les deux actes suivants développent une critique essentielle du film. La surreprésentation de prisonniers racisés est loin d’être anodine. À l’image d’autres oeuvres telles que La Voix de la Justice, La Ligne verte, Dans Leurs Regards ou encore le documentaire effarant 13th d’Ava Duvernay, Sing Sing dénonce l’injustice d’un système carcéral profondément marqué par le racisme institutionnel.

Au fil du film, le spectateur découvre que Divine G (Colman Domingo) est incarcéré pour un crime qu’il n’a pas commis, et que, malgré sa participation active au programme RTA et les preuves de son innocence, il devra purger une peine bien trop longue. Cette situation illustre le paradoxe du système : un programme censé réhabiliter les détenus (et qui a fait ses preuves en réduisant drastiquement le taux de récidives et de retour en prison) n’empêche pas certains de rester derrière les barreaux, malgré les preuves de leur réhabilitation. 

Les deux ailes de l’humanité

Malgré quelques indices, Greg Kwedar ne précise jamais l’année à laquelle se déroule l’histoire de Divine G et de Divine Eye (Clarence Maclin). Cette absence de marqueur de durée renforce l’idée d’une souffrance intemporelle, qui résonne encore aujourd’hui et sans solution concrète en vue. 

Ici, le réalisateur plonge son film dans un réalisme subjuguant en faisant jouer leur propre rôle aux acteurs et en utilisant les décors réels de la prison de Sing Sing. De même, il oppose deux personnages aux personnalités diverses mais complémentaires. Bien qu’ils portent le même surnom, Divine Eye et Divine G incarnent les deux faces d’une même pièce ternie par des années de confusion et d’isolement.

Par une interprétation poignante, Clarence Maclin capte l’empathie du public. En raison de la sincérité qui se dégage de son regard et de sa contribution active au scénario, sa performance est en d’autant plus percutante. Ainsi, l’acteur réincarne un cheminement de vie troublant. Colman Domingo, bien qu’il ne s’inspire pas de son propre vécu, incarne un rôle magistral, porté par le charisme de son jeu. Leur duo en est saisissant et assène la tonalité émotionnelle du film. 

Bien que Sing Sing soit esthétiquement conçu comme un fantasme, il est bien est loin d’en être un. À travers cette adaptation, Greg Kwedar nous invite à réfléchir sur la résistance de l’humanité au sein de l’espace le plus inhumain qui soit. Un film bouleversant et nécessaire. 

 

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