Simple comme Sylvain : Interview de Monia Chokri et Magalie Lépine-Blondeau

Pour son troisième long-métrage intitulé, Simple comme Sylvain, la réalisatrice Monia Chokri nous offre l’Amour sous tous ses aspects, de sa théorie la plus cérébrale à sa pratique la plus charnelle.

Le fond rejoint la forme. La forme rejoint le fond. Au travers d’une comédie romantique au tempo millimétrée et aux personnages d’un charme ravageur, Simple comme Sylvain est une interrogation perpétuelle sur le pouvoir du regard des autres ainsi que l’endogamie culturelle et sociale. A quelques jours de la sortie du film, nous nous sommes entretenus avec Monia Chokri et Magalie Lépine-Blondeau.  Au programme : la complexité des relations, la création naît de la collaboration, l’instinct est roi sur un tournage, et la richesse du tempo du hip-hop.

“Sophia est professeure de philosophie à Montréal et vit en couple avec Xavier depuis 10 ans. Sylvain est charpentier dans les Laurentides et doit rénover leur maison de campagne. Quand Sophia rencontre Sylvain pour la première fois, c’est le coup de foudre. Les opposés s’attirent, mais cela peut-il durer ?”


Notre critique du film Simple comme Sylvain


© Memento Distribution
Cannes 2023. Lors de la présentation de votre film dans la catégorie “Un Certain Regard”, vous avez eu un discours très fort concernant la notion du génie, et en mettant en avant les notions d’empathie et d’amour. Lorsque l’on fabrique un film comme celui-ci, où la complexité humaine est reine, quels étaient les enjeux fixés avec vos équipes pour raconter au mieux cette histoire ?

MONIA CHOKRI : C’est une équipe avec laquelle je travaille depuis plusieurs projets donc on se donnait aussi. Mon modus operandi c’est que mon équipe se sente bien. C’est un peu cliché comme comparaison, mais un cinéaste, c’est le capitaine d’un bateau. C’est celui qui doit mener la barque à bon port en rassurant son équipage en lui disant que tout va bien se passer. Il faut créer une confiance, une synergie entre eux et moi pour qu’ils se sentent valorisés dans leur créativité, et en mesure de proposer des idées. 

En tant que cinéaste, il faut bien s’entourer et laisser les autres s’exprimer et nous aider à transmettre notre pensée. Plus je les connais, plus je les trouve compétents et intelligents, et plus je les laisse s’exprimer que ce soit à la direction artistique, aux choix des costumes, ou même je pense en direction d’acteurs. Aujourd’hui je les laisse plus libres que lorsque j’étais plus jeune où j’étais moins confiante, plus fragile.

Et puis, c’est de travailler dans le respect et de me dire que s’il y a un problème sur le plateau, c’est mon problème, mon erreur. Ce n’est pas à mon équipe de subir cette colère que l’on pourrait avoir. Et ce qui est de l’histoire en soit, il faut arriver à ce que les acteurs se sentent en sécurité émotionnelle pour qu’ils puissent nous transmettre les choses chargées qu’ils auront à jouer.


« C’est toujours un peu mystérieux pour moi la mécanique intérieure d’un personnage, la façon dont il s’approprie notre corps, notre voix »


J’ai lu que vous aviez été en couple pendant 10 ans. Une durée similaire au couple de Sophia et Xavier.  Est-ce que cette expérience a irrigué, consciemment ou non le personnage de Sophia ? Et vous, Magalie, comment avez-vous fait corps avec ce rôle ?

MONIA CHOKRI : Toutes les expériences humaines sont intéressantes et créatives. Après, évidemment que j’ai une connaissance de ce qu’est un couple de longue durée, mais ce n’est pas mon histoire et je n’ai pas voulu retranscrire ce que j’avais vécu. C’est vraiment une histoire fictive. Mais évidemment que ces expériences m’aident à avoir une précision dans l’écriture.

MAGALIE LÉPINE – BLONDEAU : Concernant mon expérience avec le personnage, j’ai eu la chance de lire le scénario il y a longtemps avant même que Monia ne me confie le rôle. Le personnage de Sophia m’habite donc depuis plusieurs années et d’une certaine manière, j’ai un peu grandi avec elle et c’est toujours un peu mystérieux pour moi la mécanique intérieure d’un personnage, la façon dont il s’approprie notre corps, notre voix, la façon dont on se marie avec lui, dont on s’accompagne l’une l’autre.

C’est un mélange de réflexion, de rigueur, mais de tendresse, d’ouverture de travail avec les partenaires. Avec la réalisatrice, ça va être les répétitions. C’est un personnage qui est écrit de la plume de ma grande amie, Monia Chokri, c’est un personnage dont la réalité est finalement, dans ce qui l’habite, pas si loin de moi. On s’est nourrie l’une l’autre, c’est tout. 

© Immina Films
Platon, Spinoza, Schopenhauer, Bell Hooks. Tout au long du film, l’héroïne cite des théories de de ces philosophes faisant écho aux différents stades de sa relation. À quel stade de l’écriture, la question d’aborder le sentiment amoureux de cette manière s’est-elle posée ?

MONIA CHOKRI : C’est un peu la question de l’œuf et de la poule parce que comme ça fait longtemps que j’ai écrit le scénario, c’est un peu difficile pour moi de me souvenir à quel moment, c’est apparu. Mais je sais qu’à chaque fois que je commence à écrire, je me réfère toujours à des philosophes pour m’aider pour réfléchir et à consolider ma pensée sur les sujets que je traite et l’histoire que je veux raconter. Probablement, que ça était le cas à ce moment-là. 

Et comme je savais que je ferais un personnage évoluant dans un milieu universitaire, je pense que ce n’est à ce moment-là que ça, c’est un peu construit dans l’idée qu’elle serait prof de philo. Je trouvais les réflexions intéressantes puis ça m’a permis de construire le récit aussi.  Son esprit qui confronte son corps à la pratique des réflexions philosophiques : le fond rejoint la forme et vice-versa.

Le film est construit comme un cycle, avec des phrases, des actions qui trouveront leurs échos plus tard à des moments clés. Je pense notamment à la première scène qui, selon moi, condense quasiment tout votre propos. Était-ce voulu dès le début ?

MONIA CHOKRI C’est un peu comme au théâtre, dans les tragédies grecques. L’exposition est une forme de prologue, typique du théâtre grec, qui annonce les événements qui vont se dérouler sous nos yeux.

Il y a un vrai tempo comique et musical, grâce à une mise en scène dynamique imprégnée de zooms et de match cut, couplés à des dialogues incisifs, de belles scènes de sexe et des morceaux musicaux assez éclectiques. Le tout enveloppé d’une certaine mélancolie voire d’une amertume. Comment avez-vous façonné ce rythme avec vos équipes et vos comédiens principaux ?

Le rythme c’est quelque chose d’instinctif. C’est drôle parce que vous êtes en train de décrire à peu près tout ce que j’ai l’impression d’être dans la vie. J’écoute à la fois de la musique française, du rap, qui est à la fois mélancolique et comique. On fait nos films à l’image de ce qu’on est, et dans le principe de notre instant. Avec mon équipe et mes acteurs, on était en synergie, donc ils ont suivi mon rythme. 

Mais je ne suis pas tellement cérébrale dans ma manière de construire mes récits, je travaille plutôt à l’instinct. Je serais beaucoup dans la réflexion au moment de la construction du récit, en me référant à des philosophes ou en lisant beaucoup sur les sujets que je vais traiter. Que ce soit de la sociologie ou de la philosophie. Mais à partir du moment où je suis en création, en tournage, je fais beaucoup confiance à mon œil, à mon instinct, à ce que je ressens, à mes émotions. 

C’est vrai que mon écriture était déjà très rythmée, et que la mise en scène est assez complexe sur Simple comme Sylvain. Et avec le travail du zoom, la technique prenait une place énorme. Mais c’était très intéressant parce que ça fédérait l’équipe, on avait vraiment l’impression d’abord d’avoir besoin les uns des autres pour raconter cette histoire, mais ensuite qu’on la racontait vraiment ensemble. Et ça a créé une sorte de synergie, de franche camaraderie. On était très soudé sur le tournage.

Oui, ça se ressent beaucoup. J’ai regardé vos autres interviews où vous disiez que le film c’était un peu votre personnalité. Et quand j’ai vu que vous écoutiez du Kerchak j’avoue avoir été un peu” étonné”.

MONIA CHOKRI : [Rires] Ah oui, ça vous étonne ?

C’est assez particulier comme musique.

MONIA CHOKRI : C’est parce que vous n’êtes jamais venu dans ma voiture. Magalie est déjà venue dans ma voiture et tout ce qu’on fait c’est écouter du hip-hop. Je suis une grande fan de PNL, de Booba, des jeunes rappeurs Kerchak tout ça. C’est des poètes, ils travaillent beaucoup sur leurs mots, et ce sont des gens qui travaillent en rythme. Donc ça m’intéresse évidemment.


«Le personnage de Sofia a un réflexe que je trouve très féminin qui est de préserver, de protéger l’homme de son humiliation.»


En filigrane, vous traitez de l’infidélité féminine, chose peu exploitée au cinéma, mais également de la culpabilité à cet égard, notamment lors des retrouvailles de Xavier et Sophia et leur goodbye fuck. C’est une scène qui peut paraître à la fois sinistre, et triste. Comment toutes les deux vous avez réussi à donner vie à ce moment complexe, à ne pas juger vos personnages ?

MONIA CHOKRI : Ce n’est pas un film sur l’infidélité, l’infidélité est plutôt comme un moteur qui active l’histoire d’amour qui va se dérouler après. Mais je n’ai pas voulu le traiter comme un aspect moral. Et pour ce qui est de la scène des retrouvailles, je trouve que Magalie elle en parle bien.

MAGALIE LÉPINE – BLONDEAU : Vous dites qu’on aborde la culpabilité, mais au contraire, moi je trouve qu’on ne met jamais l’accent ni sur la culpabilité du personnage de Sofia, ni sur le regard culpabilisateur ou culpabilisant que les autres personnages pourraient avoir sur son histoire ou sur son adultère. Or, quand elle retourne auprès de son ancien partenaire parce qu’elle trouve là, euh, les amours et les relations sont complexes et que la personne qui partage notre vie ne peut pas tout incarner, que tout ce qu’on cherche chez l’être aimé.

Elle retrouve avec son ancien partenaire des rires, des conversations qu’elle ne peut pas avoir avec son nouvel amoureux et donc il y a une forme de confort, mais aussi le plaisir d’être ensemble. Et quand ils arrivent dans une zone plus intime, le personnage de Sofia a un réflexe que je trouve très féminin qui est de préserver, de protéger l’homme de son humiliation. Et c’est vraiment chose fréquente, particulièrement à ce qui a trait à la sexualité féminine. Et c’est une des choses que je trouve extrêmement intéressantes et troublantes dans le scénario de Monia, c’est de créer un personnage féminin aussi libre aussi intelligent qui se retrouve à régresser d’une certaine manière.

© Immina Films
Vous avez dit à mes consoeurs qui ont eu la chance de vous interviewer à Cannes que vous étiez de grandes pleureuses. Spoiler alert : moi aussi. Comment est-ce que vous vous sentez aujourd’hui et quelle place occupe ce film dans vos vies et filmographies respectives ? Est-ce que, comme vous le dites si bien Monia : vous vous sentez bien le soir en vous couchant en sachant que vous avez été douce avec les autres ? 

MONIA CHOKRI : Ah bah ça, c’est sûr. D’ailleurs, je ne me sens pas bien les jours où j’ai été morose ou impatiente.  Concernant la place du film dans ma filmographie qui est encore modeste, ça a été pour moi cette année de tournage avec Magalie où on a eu 40 ans toutes les deux, on s’est offert ce projet-là qu’on a mené ce projet à terme ensemble. Ça a été un des plus beaux moments de ma vie si ce n’est pas, pour le moment dans ma vie, le plus beau que j’ai vécu. 

MAGALIE LÉPINE – BLONDEAU : C’est pareil pour moi. C’est le plus beau tournage de ma vie, et l’une des plus belles expériences humaines. On a commencé le tournage plus au moins il y a un an aujourd’hui…

MONIA CHOKRI : Oui.

MAGALIE LÉPINE – BLONDEAU : Et le partager au monde et qu’il trouve écho ailleurs que chez nous, c’est une chose inouïe et ça témoigne du fait qu’on y a mis beaucoup d’amour et que c’est universel.

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