Silence : Vagues à l’âme

En 2019 sortait pour la première fois en France Silence de Masahiro Shinoda – adapté du roman éponyme de Shusaku Endo – distribué au cinéma par Carlotta Films. Aujourd’hui, c’est dans une sublime édition disponible en DVD et en Blu-Ray qu’il est possible de découvrir le film, dont on connaît majoritairement l’adaptation de Martin Scorsese, sortie en 2016.

Grande est la tentation de comparer Silence de Masahiro Shinoda – alors encore inconnu du public français lors de sa sortie en salles – au film éponyme de Scorsese. Faussement considéré comme un remake du film de 1971, le Silence de Scorsese est en réalité une seconde adaptation directe du roman de Shusaku Endo – insistant davantage sur le caractère mystique de la foi et proposant une fin beaucoup moins abrupte que celle de son homologue japonais. Tentation à laquelle on cède d’ailleurs volontiers tant il semble désormais impossible de nier l’influence du film de Masahiro Shinoda sur la version de Scorsese, entre lesquels se dessinent des similitudes aisément perceptibles.

Au XVIIème siècle, le Japon est dirigé par le shogunat Tokugawa – qui sera en place jusqu’à son renversement en 1867, évènement marquant le début de l’ère Meiji. Bien que le christianisme soit apparu au Japon dès le siècle précédent, par l’activité des missionnaires jésuites en provenance de la péninsule ibérique, il est perçu d’un mauvais œil par le pouvoir en place, qui commanditera l’expulsion des missionnaires avant d’interdire totalement la religion chrétienne en 1614. Silence évoque le périple de deux missionnaires jésuites, les pères Rodrigues et Garrpe, envoyés au Japon afin de réimplanter clandestinement la religion défendue au sein du pays, mais également afin de découvrir ce qu’il est advenu de leur formateur, le père Ferreira – arrêté quelques années auparavant par les autorités japonaises.

L'efumi dans Silence

Le bruit des vagues et le silence assourdissant des hommes

Tout dans la mise en scène de Silence présage de la destinée contrariée du père Rodrigues et du père Garrpe. Si les deux hommes sont arrivés au Japon par la mer, c’est pourtant elle-même qui les retiendra prisonniers, symbolisant l’impossibilité pour les chrétiens Japonais de quitter le pays sans avoir abjuré ou trouvé la mort. Masahiro Shinoda insiste sur le caractère insulaire du territoire, encerclé par une étendue d’eau se révélant aussi apaisante que meurtrière, contribuant ainsi à l’enfermement des personnages, empêchés d’exprimer leurs croyances librement.

Cet océan, d’apparence apaisé, devient présage mortel lors des scènes de « crucifixion », durant lesquelles les chrétiens ayant refusé d’abjurer sont attachés des croix de bois placées au milieu de l’eau, attendant que les vagues se chargent de les réduire – eux et leur foi – au silence. Le film surprend d’ailleurs par ces différences de ton, certaines scènes se chargeant d’une relative quiétude, tandis que d’autres – on pense notamment à la scène de torture psychologique avec le cheval – entretiennent une insoutenable tension, renforcée par la (quasi) absence de musique.

De la difficulté d’être humain

À travers ses personnages, Silence livre en réalité une réflexion sur la nature humaine s’éloignant de tout manichéisme. La foi des hommes – thème central du film – et la façon dont elle s’exprime selon les individus est sans cesse questionnée. Le personnage de Kichijiro – que l’on retrouvera également dans la version de Scorsese – affublé d’un rôle de traître, renie constamment sa foi (qu’il en soit forcé ou non) sans jamais pouvoir s’empêcher d’y revenir, comme perpétuellement rongé par un remords acharné. Tandis qu’une partie des personnages du film – notamment le père Garrpe – accepteront la mort pour préserver leur foi et épargner des vies, celle du père Rodrigues – si symboliquement représenté comme une figure christique, les pieds en sang et le visage émacié – sera testée jusqu’à l’extrême limite.

Silence

Jusqu’où est-on prêts à aller pour conserver notre foi ? En réponse à cette question, Silence semble ainsi faire le constat d’un échec – tant celui du père Rodrigues que du père Ferreira, que l’on découvrira apostat et bien portant – contenu dans la brutalité soudaine du dernier plan, dans lequel le – désormais seigneur – Rodrigues viole brutalement sa nouvelle femme. Privé de sa foi, l’autrefois martyr se retrouve dépossédé de son humanité.

Disponible en Blu-Ray et DVD depuis le 24 mars chez Carlotta Films

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