A l’occasion de la sortie du film Sept Hivers à Téhéran, nous nous sommes entretenus avec la protagoniste Samira Mokarami.
Après plus de 16 ans de combat, Shole Pakravan fait enfin résonner la voix de sa fille Reyhaneh à travers Sept Hivers à Téhéran, un documentaire bouleversant. Une affaire judiciaire qui aura fait le tour du monde entier, et mérite d’être répandu bien plus encore.
En 2007 à Téhéran, Reyhaneh Jabbari, 19 ans, poignarde un homme sur le point de la violer. Elle est accusée de meurtre et condamnée à mort. A partir d’images filmées clandestinement, Sept Hivers à Téhéran montre le combat de la famille pour tenter de sauver Reyhaneh, devenue symbole de la lutte pour les droits des femmes en Iran.
Le cinéma iranien trouve chaque année un peu plus sa place dans nos salles françaises. Une preuve du grand courage des cinéastes qui portent la voix du peuple souffrant. Une population qui vit dans la crainte, notamment face à un système judiciaire impitoyable qui applique la loi du talion. Cette loi… c’est celle qui a couté la vie de la jeune Reyhaneh Jabbari dont témoigne la voix de Zar Amir Ebrahimi à travers Sept Hivers à Téhéran.
Pour échanger sur ce premier long métrage de Steffi Niederzoll, nous avons eu l’honneur de rencontrer Samira Mokarami, une ancienne co-détenue et amie de la protagoniste, condamnée à mort à l’âge de 15 ans. Pour l’accompagner, étaient également présentes Lélia Saligari, programmatrice chez Nour Films, et Mitra Jalil, membre active du collectif national Femme Vie Liberté.
Samira, vous témoignez de votre relation avec Reyhaneh dans le film. Mais comment avez vous entendu parler de ce projet et à quelle étape du processus créatif êtes vous arrivée ?
SAMIRA MOKARAMI : J’avais rencontré la maman de Reyhaneh, Shole, en Iran, deux ans après ma mise en liberté. On a beaucoup parlé d’elle à ce moment là. En sortant d’Iran, j’étais toujours en contact avec elle, qui était à Berlin. Elle est venue à me demander d’être dans le film, pour parler de Reyhaneh. J’ai accepté et j’ai continué à parler d’elle, de son histoire tragique, notamment à Berlin où on a présenté le film. Elle est très importante pour moi.
Savez-vous quelle est la situation actuelle de la famille de Reyhaneh ?
SAMIRA MOKARAMI : Sa mère, Shole, vit à Berlin avec ses deux filles. Mais son père est bloqué en Iran car l’État lui a pris son passeport. Ça doit être très dur pour lui.
LÉLIA SALIGARI : Shole est à l’initiative du projet, elle avait tous les matériaux qu’on voit dans le film. C’était trop dangereux pour les réalisateurs iraniens et elle a fini par rencontrer la réalisatrice en Turquie, quand elle s’est enfuie d’Iran. C’est le premier film de Steffi, et il a quand même mis 6 ans à se faire. Elle en a parlé à son mari, et ça l’inquiétait forcément qu’il soit en Iran. Mais vu la renommé du film, elle espère que ça le protège finalement.
Mais le père n’est pas surveillé sur place ? Il a fourni une longue interview, le système iranien n’a pas accès à ces enregistrements là ?
MITRA JALIL : En Iran, tout est dangereux. Du moment où vous commencez à faire un mouvement contestataire, ils sont au courant. Ils ont des espions et des indicateurs partout, ils savent très bien ce qu’on fait. En plus, avec les dernières technologies, ils peuvent utiliser les logiciels de reconnaissance faciale pendant les manifestations. Quand vous êtes un père, que vous avez perdu votre fille qui a souffert 7 ans en prison, que vous êtes isolé du reste de votre famille, vous n’avez plus de crainte pour votre avenir.
Le système judiciaire est lui aussi très particulier en Iran… Là-bas, c’est à la famille de la victime de décider d’ôter la vie ou non de celle de l’accusée. Certains films comme Les Enfants de Belle Ville de Asghar Farhadi et Yalda, la nuit du pardon de Massoud Bakhshi témoignent de la cruauté de cette procédure.
SAMIRA MOKARAMI : Oui, le juge la condamne à mort mais donne la responsabilité de la décision finale à la famille de la victime. C’est à eux de décider s’ils acceptent le pardon ou non. Si la famille de la victime n’accepte pas le pardon, ils sont obligés d’être présents lors de l’exécution. Ils peuvent donner le pardon jusqu’au dernier moment. Dans mon histoire, mon oncle n’a jamais accepté notre pardon, c’est ma grand-mère qui a décidé de pardonner ma mère, ma sœur et moi.
LÉLIA SALIGARI : Le pardon peut être monnayé. Shole a continué de militer pour les prisonniers et a réussi à sauver une dizaine de personnes, notamment avec des fonds de soutien pour les familles plus pauvres. Shole essaie de faire comprendre que la victime c’est pas seulement la personne exécutée mais aussi toute la famille de cette personne.
Vous vous êtes sentie libre de dire tout ce que vous souhaitiez dans ce film ?
SAMIRA MOKARAMI : Oui, dans le film j’ai pu tout dire. Après, c’est normal qu’ils aient du sélectionner et couper certains passages, mais c’est pour la durée du film.
MITRA JALIL : Comme ça a été tourné à l’étranger, il n’y avait pas de soucis. Si ça avait été tourné en Iran, ça aurait été beaucoup plus compliqué.
SAMIRA MOKARAMI : Quand j’étais en Iran, je ne parlais jamais de mon histoire. Personne ne connaît mon histoire là bas.
Est ce que vous vous sentez libéré d’un poids d’avoir pu témoigner de votre histoire et de celle de Reyhaneh dans Sept Hivers à Téhéran ?
SAMIRA MOKARAMI : Je me suis sentie soulagée. Mais le plus important, c’est de parler de Reyhaneh. Moi j’ai ma vie maintenant, mais c’est important qu’on ne l’oublie pas elle. J’aimerais en parler, en parler, en parler… pour sa mémoire, pour que son histoire reste toujours vivante. Je la garderai toujours dans mon cœur, je lui écris beaucoup.
Est ce que vous pourriez nous parler de votre sentiment lors du visionnage du film ?
SAMIRA MOKARAMI : J’étais heureuse de voir des images de Reyhaneh petite, et que tout le monde connaisse son histoire. Mais bien sûr que c’est très dur pour moi. J’ai vu plusieurs fois le film, je veux garder son visage et sa voix dans ma tête. Je suis très contente pour Shole car elle a beaucoup travaillé pour faire entendre sa fille.
LÉLIA SALIGARI : Ce film permet aussi à Shole de rester debout. Elle continue ce combat là, au nom de sa fille et de tous les autres prisonniers en Iran. Bien sûr, elle, elle peut pas voir le film. Elle l’a vu une fois mais elle ne peut plus du tout voir une seule image parce que c’est trop douloureux. L’unique fois où elle l’a vu, c’était pour le présenter à Berlin, et elle ne pouvait plus se lever, elle était bouleversée. Mais c’était aussi l’accomplissement de tout son travail.