Sentinelle Sud de Mathieu Gérault : la guerre, et après ?

Mathieu Gérault nous livre un premier long-métrage d’inspiration américaine avec Sentinelle Sud. Aux confins du film de guerre, du thriller et parfois même, de la romance, le cinéaste réussit à se détacher de ses influences pour évoquer une situation bien concrète : le stress post-traumatique des soldats rentrant d’Afghanistan.

De retour d’une mission ayant décimé son unité, Christian Lafayette (Niels Schneider) tente de se réinsérer dans une banlieue morne. Alors qu’il essaye de reprendre une vie normale, il est mêlé à un mystérieux trafic d’opium impliquant ses deux frères d’armes blessés : Mounir (Sofian Khammes) et Henri (Thomas Daloz). Rapidement, Christian va découvrir que tout cela dépasse le simple trafic, et que son commandant De Royer (Denis Lavant, qui semble tout droit sorti du Beau travail de Claire Denis), que tous appellent “père”, n’est peut-être pas la figure paternelle de rigueur et d’ordre qu’il idéalisait.

Sofian Khammes et Niels Schneider dans Sentinelle Sud de Matthieu Gérault
© UFO Distribution

La violence comme remède

Dès les premières minutes, Christian nous est montré comme accro à la violence. Encore abîmé d’une bagarre de la veille, il regarde avec émotion des vidéos d’Afghanistan où lui et ses camarades s’amusent avec des armes et des cigares. Il n’aura d’ailleurs qu’une seule volonté : retourner sur le terrain. Car la guerre, il ne sait faire que ça. Sa vie sera donc encore régie selon les apprentissages de l’armée. Il dort sur un matelas à même le sol, s’habille en uniforme, porte une arme qu’il dégaine à tout moment, et conduit une voiture avec des lunettes infra-rouges.

C’est précisément ce comportement, phallocrate et violent, que Mathieu Gérault déconstruit tout au long du film. Détail important et révélateur, Mounir, son ami, porte sur lui une blessure allant du genou à la hanche. Lui qui fume des cigares, symbole de puissance par excellence, et lit une biographie de Napoléon, est dépossédé de son pouvoir de reproduction. De même, Christian, probablement à cause au traumatisme de la guerre, urine dans son lit. Les deux personnages, accros à la violence, se retrouvent ainsi relégués à des comportements enfantins qui les déboussolent.

La colline des enfants perdus 

Mathieu Gérault invoque Sidney Lumet lorsqu’il parle de ses inspirations pour l’écriture et la réalisation de Sentinelle Sud. Le cinéma américain n’est, en effet, jamais très loin. On pense à Heat (1995), lors d’une scène de braquage, à L’échelle de Jacob (1990) et Les plus belles années de notre vie (1946) pour le thème, et enfin, à La colline des hommes perdus pour le propos. Dans ce film de 1965, Sidney Lumet mettait en scène des hommes dépaysés, perdus dans une prison où rien ne faisait sens. Tout comme Sean Connery, Niels Schneider cherche à comprendre. Dans un premier temps, il veut résoudre le mystère de l’opium. Dans un second, Christian a besoin de repères, d’une famille. Orphelin de naissance, l’armée fut un temps son chez-soi. Son commandant, son “père” ; ses camarades, ses “frères”. Christian se retrouve donc perdu lorsque les ordres qu’il reçoit ne semblent plus régis par la raison.

Le réalisateur ne laisse vivre à l’écran que ses personnages, et c’est peut-être là l’un des défauts du film. En effet, la mise en scène ne perd jamais Christian. La caméra de Mathieu Gérault le filme presque continuellement, et laisse peu de place au hors champ. Seuls existent à l’écran les personnages constituant l’action. Par conséquent l’hors champ, donc le réel, est constamment ignoré. Nous aurions pu imaginer que Mathieu Gérault laisse une place plus importante aux personnes (et non aux personnages) composant l’environnement social de Christian. Peut-être elles aussi se sont-elles perdues…

Niels Schneider dans Sentinelle Sud de Matthieu Gérault
© UFO Distribution

Avec Sentinelle Sud, le réalisateur s’approprie ainsi ce thème cher au cinéma américain : la guerre, et après ? Malgré une mise en scène parfois trop conventionnelle, où l’on aimerait palper davantage le réel entourant Christian, ce premier film est tout à fait prometteur et nous emmène dans les affres psychologiques d’un soldat perdu.

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