Sam fait plus rire de Ally Pankiw : Rire et châtiment

Sam fait plus rire est le premier long métrage de la réalisatrice et scénariste canadienne Ally Pankiw, principalement connue pour avoir réalisé deux épisodes de la série Netflix à succès Black Mirror (Joan is Awful et Common People) et dirigé l’intégralité de la première saison de la série Feel Good (2020).

Ally Pankiw semble ainsi avoir un penchant pour la représentation d’histoires bouleversantes, incluant une pincée de comédie. Sam fait plus rire intègre parfaitement sa filmographie avec une intention à peine voilée. Celle de non seulement dépeindre l’impact d’un traumatisme sexuel sur soi (Sam est ici victime d’un viol) mais aussi critiquer ouvertement tous les comportements néfastes qui en découlent, facilités par une société laxiste et culpabilisante. Comment la production d’Ally Pankiw se distingue-t-elle parmi des films et séries télévisées déjà porteurs de ce même message ?

« Sam (Rachel Sennott), une jeune comédienne et jeune fille au pair souffrant de stress post-traumatique, se demande si elle doit ou non participer aux recherches de Brooke (Olga Petsa), une fillette disparue dont elle était la nounou. »

Image très rapprochée sur le visage de Sam qui est visiblement touchée et attristée. Elle regarde dans le vide.
@Wayna Pitch

Le rire comme stratégie de survie

De son titre à son propos incisif, Sam fait plus rire déploie un humour cinglant et maîtrisé par Ally Pankiw. Loin d’elle l’idée de minimiser l’importance de ce qu’elle met en scène. Les nombreuses blagues prononcées par les personnages, notamment par la protagoniste, sont des outils politiques grossièrement utilisés mais à l’impact majeur. Elles servent à dénoncer un patriarcat dominant, faisant de la femme la victime de tous les maux, dont ces agressions sexuelles, à cause de son comportement de non soumission. 

C’est à travers cette politisation de l’humour qu’Ally Pankiw aborde plusieurs thématiques féministes. La scénariste rappelle qu’il ne s’agit pas d’une simple opinion mais bien d’une conviction nécessaire. Les hommes, dans un premier temps compréhensifs face aux luttes féminines, finissent par réitérer des comportements de domination patriarcale. Le policier recueillant le témoignage de Sam manque clairement d’écoute. Tout comme son petit ami qui semble compatissant mais attend encore de développer leur relation, alors que Sam, très claire à ce sujet, n’en est plus capable. Ally Pankiw se réapproprie même la notion de “slut shaming”. À travers les nombreux sketchs de Sam, elle en dénonce toute la perversité systémique. 

Rachel Sennott s’impose comme l’actrice idéale pour incarner Sam. Ancienne comédienne de stand-up, elle est naturellement drôle et attachante. Elle incarne avec justesse l’ambivalence que vit son personnage, tiraillée entre une volonté de dénonciation et la violence de ce qu’elle subit en tant que femme.

Quand l’humour s’éteint

Une part importante de l’héroïne est détruite par le traumatisme. Sam fait plus rire dépeint alors la disparition progressive de l’humour au profit du drame qui frappe inexorablement.  De ce fait, l’humour infusé dans ce récit possède en plus une valeur métaphorique qui justifie pleinement le titre du film : Sam ne fait plus rire parce que Sam ne peut plus rire. En résonance, la réalisatrice prend position dans un débat sociétal récurrent : peut-on rire de tout ? L’humour n’est ici recevable que lorsqu’il provient de la victime elle-même ; sinon, il devient irrespectueux. 

Par ailleurs, cet humour atténue la dureté de l’histoire, lui donnant par intermittence des allures de teen movie. Rachel Sennott incarne ces émotions fortes avec une intensité palpable et représente astucieusement l’anxiété qui se crée. L’ambiance construite autour de la dépression de Sam est toujours suffisamment empathique pour que le spectateur ressente une véritable peine face à ce qu’elle traverse, et se reconnaisse dans les réactions peu contrôlées de son personnage.

Filmer l’irreprésentable sans le montrer : l’éthique du hors-champ ?

La notion même d’agression sexuelle englobe un éventail d’actes violents. Ici, Ally Pankiw choisit de ne pas retranscrire l’agression sexuelle subie par Sam de façon choquante. Elle entretient, jusqu’au dernier moment, une part de mystère sur ce qui s’est réellement produit. Cette (non) mise en scène crée une tension et un questionnement assez permanent sur la nature du crime, et les émotions atteignent leur paroxysme une fois la révélation effectuée. Ally Pankiw renforce l’impact du récit en construisant une histoire non linéaire, choisissant d’y d’intégrer de nombreux flashbacks. Le suspens repose sur cette alternance entre moments de légèreté et véritables angoisses. De ce point de vue, il se rapproche d’autres productions cinématographiques telles que How to Have Sex ou encore la série populaire The Handmaids’ Tale

Sam est abaissée vers une table en regardant attentivement son portable tout en mangeant un biscuit. Elle est visiblement perturbée par ce qu'elle lit.
@Wayna Pitch

Un récit nécessaire, mais imparfait

Sam fait plus rire reste toutefois décevant sur certains aspects techniques. La réalisation, étonnamment simpliste, et la photographie sur-saturée rappellent certaines productions standardisées de Netflix.

Par ailleurs, la diversité et l’inclusivité présentes dans le récit sont trop peu développées. Elles ne sont que des outils, malheureusement non essentiels au récit. Il aurait été correct et plaisant de voir à l’écran l’étendue des relations queer des colocs de Sam. Ici, seule la relation hétérosexuelle bénéficie d’un vrai temps d’écran. Par ailleurs, l’histoire peut facilement tomber dans des représentations clichés. Ceux qui profanent (l’agresseur, le policier, l’humoriste détesté) sont des hommes blanc, cis et hétérosexuels – bien que cela confirme, à un même degré, la dénonciation de leurs privilèges évidents.

Ceci n’enlève rien à la sincérité du projet. Ally Pankiw cherche à offrir à son héroïne un chemin de reconstruction, tout en n’assenant pas de solutions universelles : chaque victime est différente, et chaque réponse au traumatisme le sera également. Mais il convient de se demander s’il existe véritablement des solutions pour toutes ?  Peut-être n’apprend-on pas à vivre sans le drame, mais avec.

In fine, Sam fait plus rire reprend des schémas narratifs classiques des drames aux sujets difficiles. Pourtant, Ally Pankiw réussit à faire de l’humour un véritable outil politique, qu’elle oppose sans cesse aux émotions liées à la destruction, puis à la reconstruction, avec soi et autrui. Ally Pankiw livre une œuvre touchante qui suscite la réflexion.

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