Sean Baker revient quatre ans après son très beau The Florida Project pour présenter Red Rocket, un film mordant et cinglant qui ne manque pas d’humour et d’honnêteté.
Dans Red Rocket, Mikey (Simon Rex) est un acteur porno plus que sur le déclin. Après avoir flirté pendant plus d’une quinzaine d’années avec le monde du show sexuel, Mikey revient contre son gré au Texas, sans le sous et avec un œil au beurre noir. Comment peut-on tourner la page d’une vie de paillettes et de sperme ? Baker semble avoir la réponse : on ne s’en défait jamais totalement.
Ma bite et mon couteau
Mikey vit dans son passé auréolé d’une heure de gloire qu’il ne cesse de mettre en avant. « 20 millions de vues sur Pornhub ! » annonce-t-il, tout fier, à son jeune voisin raté Lonnie (Ethan Darbone) qu’il a convaincu de devenir son chauffeur personnel. Faute de moyens et d’opportunités – l’ex-acteur est retourné vivre dans un taudis texan avec son ex-femme et la mère de cette dernière – Mikey ne peut compter que sur ce qui lui a permis de réussir : sa belle gueule, son bagou et son sabre (son sexe), dont il a tiré son pseudonyme d’acteur porno Mikey Saber.
Red Rocket axe donc son récit tant sur l’absurdité de son personnage principal que sur son dur retour à la réalité. Comme à son habitude, Sean Baker se permet de flouter la limite entre documentaire et fiction, faisant tout le charme de son cinéma, et le fait que Simon Rex soit réellement un ancien acteur porno ne fait que renforcer cet effet.
Outre un récit parfaitement ficelé et ne laissant aucune place à l’ennui, le réalisateur se targue d’une magnifique fresque sociale (aussi présentes dans ses précédents films) faisant la part belle à l’Amérique profonde et à ses problématiques économiques. Son ex-femme Lexi (Bree Elrod), avec qui sa carrière porno a commencé, n’a pas eu la même vie : pauvreté, drogues, alcool et prostitution, en voici un joli cocktail made in American way of life. Si Mikey se vante constamment pour ses exploits carriéristes, ce n’est finalement que pour rappeler à tous ces petites gens qu’ils devraient avoir honte de ne pas tenter l’American dream.
Come-back sexuel
Face à son échec et à des activités foireuses comme le deal de drogues, Mikey nourrit un doux espoir : celui de retourner à la cité des Anges pour reprendre sa carrière. Il jette alors son dévolu sur la jeune et jolie Strawberry (Suzanna Son), même pas 18 ans mais qui pourrait sans aucun doute être son ticket de retour. La sexualisation malsaine des adolescentes par une Amérique biberonnée à la pornographie s’exprime donc sous les traits de Mikey. Sauf que le problème est double. Strawberry est elle-même une enfant nourrie à la surabondance d’images à caractère sexuel, faisant de la jeune fille la représentante parfaite d’une sexualité symptomatique de l’exposition précoce à la pornographie.
Récit tragi-comique au possible, Red Rocket trouve un équilibre parfait dans son propos pour y placer autant d’humour que de désespoir. Sean Baker signe ici un film au cynisme plus poussé qu’à son habitude, comme s’il tirait la sonnette d’alarme d’une société malade et déconnectée de ses problématiques. Il y a donc mille et une façons d’aborder la décrépitude d’une planète laissée à son sort.
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