En décembre dernier, se clôturait la 12ème édition du PIFFF, le Paris International Fantastic Film Festival, grand événement de genre toujours précurseur des pépites fantastiques de l’année.
Elaborer un top 5 pour cette édition n’était pas évident tant les sélections étaient riches, qualitatives et très diversifiées. Le PIFFF a véritablement gâté son public avec des propositions pour tous les goûts et de tous les horizons. Cette édition était une vraie réussite pour un festival qui continue d’être un incontournable des festivals de genre et de cinéma tout court.
Toutefois, sans mentionner Moon Garden, déjà coup de coeur de l’Etrange Festival qui s’érige au même rang pour le PIFFF, cinq autres coups de coeur ont retenu notre attention et méritent d’être mis en avant.
5. Stop Motion de Robert Morgan (sortie prochainement)
Prix des lecteurs Mad Movies du PIFFF
Une réflexion personnelle (voire autobiographique) passionnante sur le métier d’animateur stop motion, et plus largement les métiers de création en tous genres, les sacrifices qu’ils demandent, leurs exigences et finalement leur contrôle sur leurs créateurs. Robert Morgan se confie à travers Ella, jeune animatrice travaillant sous l’autorité oppressante de sa mère, star de la discipline désormais incapable de mener seule son projet, trop usée par le travail manuel.
L’émancipation de sa protagoniste par le besoin de créer pour elle-même mène le récit dans une descente aux enfers extrême, illustrée aussi bien dans l’animation que dans le live action et une esthétique cauchemardesque très réussie nous ôtant nos repères à sa guise.
L’attrait de Morgan pour l’organique et le putride est poussé à son paroxysme, il ne réfléchit plus aux limites mais joue avec elles pour nous entraîner dans le malaise, nous enfermer dans un projet malsain que l’on veut pourtant pouvoir poursuivre.
Stop Motion marque par ses créatures animées et son style singulier, rappelant sous certains aspects Mad God de Phil Tippett, et la malice de son récit suffisamment personnel pour poser les bonnes questions, mais sans tomber dans l’introspection totale ou l’égotisme.
Toutefois, on pourra lui reprocher un traitement plus léger de ses personnages secondaires, qui ne semblent pas signifiants dans le cours du récit. Aussi, certaines scènes en live action auraient mérité une mise en scène moins sage, plus proche du côté expérimental des scènes en stop-motion. De surcroit, le film manque parfois de confiance en son public et semble s’obliger de surligner certains sous-entendus, voire même son principal plot twist ! Ceci est dommage, compte tenu de son déroulement bien ficelé et qui pourrait largement s’en passer.
Malgré tout, Stop Motion est une vraie proposition hybride personnelle qui happe par son thème, son esthétique morbide, son dénouement et ses scènes horrifiques anxiogènes.
4. When Evil Lurks de Demián Rugna (sortie prochainement)
Par sa cruauté et son extrémisme, When Evil Lurks s’est distingué et imposé dans la sélection du PIFFF. Demián Rugna n’a pas peur d’aller trop loin et il le fait brillamment dans son film de possession incomparable à ses pairs, qui vient créer sa propre mythologie, sa propre esthétique et sa propre conception du mal. En installant son récit dans un milieu rural abandonné et arriéré, Rugna amène déjà l’organique, la saleté et nous traîne dans la boue et la moiteur. L’arrivée imminente du mal prend forme de putréfaction, une fatalité fétide pouvant s’emparer de chacun, à la manière d’une épidémie, jusqu’à prendre notre humanité avant de prendre notre vie.
Cette manifestation démoniaque est d’une efficacité horrifique redoutable, jouant du pathétique, du dégout et de la peur viscérale ; mais quand le mal ne se laisse pas voir, c’est là que le film réussit le mieux son pari. La mise en scène de l’omniprésence, quelque chose qui est là sans être là, l’environnement qui change sans changer, toute cette subtilité de mise en scène donne toute sa puissance au propos et livre des images mémorables prêtes à se glisser dans nos cauchemars.
Finalement, l’intrigue est reléguée au second plan tant chaque manifestation démoniaque heurte, et c’est presque mieux ainsi. Puisque le film n’a pas l’ambition de nous faire croire à une échappatoire, nous ne menons pas un combat contre le mal avec les protagonistes, nous réalisons progressivement que le mal s’est installé et qu’il ne bougera pas.
C’est pourquoi When Evil Lurks est le film choc de cette sélection, malheureusement arrivé trop tard pour la compétition dans laquelle il aurait sûrement été haut placé. Mais toutes ses qualités et ses scènes mémorables auront certainement su marquer les esprits des festivaliers du PIFFF, tout comme elles marqueront les festivaliers de Gerardmer où le film est sélectionné en compétition.
3. Vermines de Sébastien Vaniček (notre critique ici)
Sébastien Vaniček, fort d’une expérience prometteuse dans le court-métrage de genre, s’allie avec Florent Bernard pour l’écriture de son premier long-métrage. Le duo s’articule à merveille, partageant les mêmes passions pour le genre et le grand spectacle et les mêmes influences, et viennent se nourrir l’un l’autre : Bernard pour l’écriture des personnages et le traitement de leurs interactions, et Vaniček pour l’univers et la construction de la tension.
De cet élan de passion, de sincérité et de générosité, nous parvient Vermines, film fantastique horrifique prenant racine au cœur d’une cité prise d’assaut par des araignées venimeuses particulières. L’atmosphère est saisissante de par le rythme effréné et l’aspect huis clos emprisonnant renforcé par des décors cauchemardesques. Par ailleurs, le film étant doté d’un budget inférieur à ses ambitions le contraignant à trouver des astuces de mise en scène et limiter les effets spéciaux, n’en est que plus réaliste mais aussi plus original et personnel.
D’ailleurs, sur le plan personnel, on sent que toute l’équipe s’est fait plaisir à mettre d’eux, leurs liens transparaissent comme leur authenticité ; Vanicek le premier en profite pour se livrer sur son rapport à la cité comme lieu d’enfermement mais aussi d’effervescence, de solidarité. Il dresse alors en parallèle un constat social actuel qui se marie habilement avec le genre, et crée de nouveaux types de héros en cassant les préjugés et les clichés, le tout sur une bande son moderne de rap français qui s’intègre à merveille.
Vermines est donc un plaisir de divertissement porté par des influences fortes et une grande générosité créative. Son récit bien mené, ses personnages attachants et son angoisse constante (avec utilisation intelligente des jumpscares) le hissent déjà dans le haut du panier bien fourni du genre français de cette année.
2. Godzilla Minus One de Takashi Yamazaki
Le film événement de l’ouverture du PIFFF, ayant subi une distribution malheureusement trop moindre et désavantageuse. Godzilla Minus One est une réussite en tous points et vient élever la franchise vers de nouveaux sommets (et ce, à quelques mois du deuxième volet de Godzilla vs Kong 2 qui ne fait que prouver que Godzilla n’appartient qu’aux japonais).
Takashi Yamazaki rend ici un hommage aux origines de Godzilla, à l’histoire japonaise et incarne son monstre, non pas seulement du traumatisme de la bombe atomique et des actions américaines durant la guerre, mais surtout du traumatisme global de toute guerre et de tout rôle impérialiste contre son peuple, y compris le gouvernement japonais notamment sur la question des sacrifices de kamikazes. Ainsi, Godzilla est partout, il n’est pas une menace externe mais bien interne et omniprésente, nécessitant une union du peuple japonais comme seul moyen de le combattre. Yamazaki construit des personnages forts qu’il lie habilement et ajoute à la dimension politique et sociale de son œuvre, une dimension philosophique très humaniste sur la valeur de la vie, du sacrifice, et sur ce qui vaut la peine d’être préservé et protégé quand il ne reste plus rien, ni même l’espoir.
Le tout dans des décors presqu’apocalyptiques impressionnants écrasés par l’immensité de la créature qui n’a jamais paru aussi effrayante, appuyée par un sound design cauchemardesque et bien sûr un travail remarquable d’effets spéciaux qui pourrait lui valoir une distinction aux oscars. En somme, Godzilla Minus One, tout en se dévoilant bien sûr comme un grand kaijū et une pièce unique de la franchise japonaise, est surtout un film à part, d’une immense richesse et probablement d’une grande importance à découvrir absolument (à ce sujet, on ne peut que lui souhaiter une meilleure distribution internationale).
1. Dream Scenario de Kristoffer Borgli
Présenté en première partie de l’ouverture du PIFFF, Dream Scenario est un ovni miraculeux qui reprend au cinéma de Charlie Kaufman et Spike Jonze toute sa folie, sa maturité et son inventivité. Dans la lignée de Being John Malkovich qui réfléchissait aux questions de notoriété, et d’identités publiques et privées entrelacées et volatiles, Borgli actualise le propos autour de la figure majeure de la pop culture (aussi bien au cinéma que sur les réseaux sociaux) : Nicolas Cage. Un acteur qui n’a cessé de questionner sa carrière et son image ces dernières années, en cherchant à la déconstruire et reprendre possession de lui-même.
La rencontre des deux mondes est parfaite et nous offre le mastodonte Dream Scenario, un film unique qui parvient à mêler une multitude de genres (tous intégrés et traités impeccablement) articulés autour d’un même concept : quand tout à coup tout le monde se met à rêver de Paul Matthews (Nicolas Cage), simple professeur lambda en quête de notoriété et d’étincelle dans sa simple routine, jusqu’où iront les formes et facettes qu’il pourra prendre dans les esprits et comment rétablir sa vérité lorsque l’on est personnage omniprésent dans la tête d’autrui ?
Un scénario brillant sublimé par une mise en scène minutieuse d’une grande intelligence et bien sûr un interprète parfait qui livre la performance la plus personnelle de sa carrière, aussi hilarante que déchirante au cœur d’une œuvre complète qui va jusqu’au bout de son concept et ses réflexions jusqu’à transcender ses influences et s’imposer comme l’un des films les plus intéressants de l’année.