Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma embrase les coeurs des personnages pour mieux saisir les émotions du spectateur et livrer une histoire d’amour émouvante entre deux femmes.
Le cinéma représente de plus en plus les histoires d’amour homosexuelles et lesbiennes. On retient quelques oeuvres marquantes comme Happy Together (1997), Brokeback Mountain (2005), I Love You Philip Morris (2010), La Vie d’Adèle (2013) ou encoreCall Me By Your Name (2017). Portrait de la jeune fille en feu succède avec mérite à Girl de Lukas Dhont à la Queer Palm au Festival de Cannes.
Céline Sciamma écrit et réalise le film. Son dernier projet de scénariste était justement un film qui mettait en avant une relation homosexuelle (Quand on a 17 ans d’André Téchiné). En plus de connaitre son sujet au travers de différents projets, elle est elle-même lesbienne. Par ailleurs, on retrouve dans le film sa compagne Adèle Haenel et l’excellente Noémie Merlant. En 1770, une jeune peintre doit peindre en secret le portrait d’une femme refusant de poser…
Une image de l’art
La séquence d’ouverture de Portrait de la jeune fille en feu est bien pensée. Des femmes dessinent en obéissant à la voix de Marianne. L’une d’entre-elles évoque un tableau qu’elle a récupéré. Une autre pose une question sur le nom du tableau. Puis le titre surgit de la bouche de Marianne et le plan se resserre de plus en plus vers ce tableau. Cela, jusqu’à plonger à l’intérieur de lui et découvrir l’histoire de ce titre, et donc, l’histoire de ce film. La force de cette oeuvre réside dans son écriture, récompensée au Festival de Cannes avec le prix du scénario. Comment faire une histoire d’amour réussie dans un monde cinématographique où l’amour baigne dans presque tout les films ?
Céline Sciamma présente l’amour de différentes façons. Et cette relation qui se crée entre les 2 personnages est sublimée par les degrés de lecture. Le fait de mettre Marianne au coeur du récit, qui doit peindre Héloïse en apprenant à la connaitre discrètement, renforce le lien entre les personnages. Il s’agit pour Marianne d’appréhender le visage quasi-divinisé d’Héloïse (aimer son physique). Mais aussi apprendre à se connaitre (aimer ce qu’elle est) et enfin, débuter cette relation amoureuse en arrêtant de mentir.
On pourrait continuer encore plus loin et dire que l’art est éternel. Il représente les souvenirs qu’elles essayent de tisser ensemble. Et lorsqu’elles se quittent, le portrait d’Héloïse se grave dans sa mémoire, mais il ne lui appartient plus vraiment. Il ne lui reste plus qu’un tableau forgé dans le passé et appartenant au passé. Un tableau représentant le portrait de la jeune fille en feu.
Le féminisme au centre du tableau
Le féminisme est au centre du Portrait de la jeune fille en feu. Si le duo Marianne-Héloïse est celui le plus présent à l’écran, on retient aussi la comtesse (Valeria Gollino) mais surtout Sophie (Luàna Bajrami). Le féminisme ne se base pas uniquement sur cette présence presque entièrement féminine mais surtout par les sujets abordés.
Marianne, Héloïse et Sophie sont 3 femmes différentes mais toutes impactées par un homme. Sophie est enceinte mais ne désire pas l’enfant. Héloïse doit se marier mais ne désire pas se marier. Et Marianne a aimé un homme et est maintenant seule. Cette tragédie humaine ne s’arrête pas là. Les thématiques tragiques de l’avortement au XVIIIe siècle (pendaison, alcool) et les thématiques artistiques (ne pas avoir le droit de peindre des hommes) sont aussi très fortes.
Une langueur justifiée
Le film est parfois lent, long mais si on essaye de comprendre pourquoi, la lenteur est justifiée. En effet, la musique de fosse est absente du film. Héloïse s’ennuie et elle aime la musique, d’où la cruauté de son absence et la lenteur de certaines séquences silencieuses. Des séquences parfois interrompues par des courtes répliques, parfois interrompues par des regards.
C’est le dernier plan du film qui offre une véritable poussée émotionnelle dantesque. Si on se met en tête tout ce que l’on vient de voir, le dernier plan est d’une intelligence folle, contenant dans son âme même l’entièreté du film. A la manière du dernier plan de Call Me By Your Name où Timothée Chalamet est inconsolable et détruit, Adèle Haenel est bouleversante (elle aurait mérité un prix d’interprétation). Tout contient en elle la déception, les regrets, l’amour du passé, et le retour en arrière impossible.
Portrait de la jeune fille en feu est une fable féministe qui contient une histoire d’amour forte et tragique, pleine de subtilité. Sa fin est mémorable, tant elle est bouleversante.
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