Paradise is Burning de Mika Gustafson : Libérées, délivrées ?

paradise is burning

Auréolée du Prix Orizzonti de la Meilleure Réalisatrice à la Mostra de Venise 2023, Mika Gustafson livre avec Paradise is Burning un coming of age d’observation captivant où la sororité naturelle est gage de bonheur et de survie avant l’inévitable.

Après avoir coréalisé le documentaire Silvana (2017) avec ses copines d’études Christina Tsiobanelis et Olivia Kastebring, Mika Gustafson se lance en solo pour son premier long métrage de fiction. À l’image de la rappeuse Silvana Imam, protagoniste principale de Silvana, la réalisatrice suédoise met à nouveau en lumière des personnages féminins complexes, entre colère et force tranquille, bien décidées à (sur)vivre dans une société qui les stigmatise et les rejette. Et si la trame narrative de Paradise is Burning nous rappelle celle de Scrapper de Charlotte Regan, sorti en début d’année, force est de constater que le film de Gustafson s’octroie des pas de côté bienvenus loin des clichés sur la jeunesse à la dérive.

« Dans une région ouvrière de Suède, trois jeunes sœurs se débrouillent seules, laissées à elles-mêmes par une mère absente. Une vie insouciante et anarchique jusqu’à ce que les services sociaux convoquent une réunion. Laura (Bianca Delbravo), l’aînée, va alors devoir trouver quelqu’un pour jouer le rôle de leur mère. Elle garde la menace secrète pour ne pas inquiéter ses jeunes sœurs Mira (Dilvin Asaad) et Steffi (Safira Mossberg). »

© Epicentre Films

(Sur)Vivre avant la tempête

Paradise is Burning prend le contre-pied de bon nombre de comings of age. Avec son scénario dénué de péripéties clefs actant la croissance personnelle des frangines, Mika Gustafson explore ses personnages par le biais de l’observation plutôt que par leur construction interne. Véritable non-aventure, Paradise is Burning capture pendant 1h48 les tribulations jamais barbantes des trois sœurs. Tandis que la finalité du récit est rapidement posée, celle de l’implacable visite des services sociaux qui signe l’explosion du cocon familial créé par Laura, Mira et Steffi, le film se concentre ensuite sur cette sororie livrée à elle-même. Mais aussi sur la tentative vaine de Laura pour trouver une femme capable d’endosser le rôle de mère lors du passage des services sociaux.

Entre école buissonnière, bastons, vols à l’étalage ou encore squat de maisons inoccupées, les trois sœurs nous embarquent dans leur petite bulle de débrouille et de survie. Et sous ses airs régulièrement chaotiques, ce wonderland improvisé n’est jamais dénué d’amour et de soutien. Mais lorsque Laura, dépassée par le rôle maternel qu’elle n’est pas censée endosser, s’éloigne de ses sœurs pour trouver une fausse mère, c’est tout leur monde qui vacille. Face à cette quête perdue d’avance, Laura profite bien vite de l’once de liberté qu’il lui reste pour vivre sa vie, laissant ses cadettes de côté. Mira et Steffi, jusqu’alors dans un mimétisme assidu de leur aînée, n’ont d’autre choix que de se dépatouiller, sous l’œil régulier mais moins impliqué de Laura. Leur paradis, quoiqu’abîmé et limité, se met alors lentement à brûler.

« La roue tourne va tourner »

Compte à rebours narratif inéluctable, cette réunion imminente avec les services sociaux devient une véritable épée de Damoclès. Tout est une question de temps. A l’unisson de ce point de non retour inévitable, un sentiment de rapidité parcourt l’ensemble du film, tandis que Laura gère comme elle peut le quotidien. Sortir les poubelles, se retrouver enfermée dehors, mettre une correction aux filles qui embêtent ses sœurs, fuir un voisin auquel elle pique de la lessive, faire diversion avec ses frangines pour voler de la nourriture dans un supermarché… Les délits, plus ou moins gros, sont traités sur un même rythme, appuyé par une mise en scène énergique et un montage aiguisé, offrant l’effervescence nécessaire à l’ensemble. Le petit bémol du film réside ceci dit dans son esthétique globale, aussi léchée que déjà-vu, qui tend vers le pur film « Sundance ».

Face à la précarité de cette situation, le trio réagit pourtant toujours avec joie et détermination, boostant ainsi l’empathie du spectateur. Sans jamais tomber dans le misérabilisme, Paradise is Burning est avant tout une ode à la sororité et l’impétuosité, représentées ici par ces trois héroïnes pleines de complicité malgré les aléas. Et si Laura peut se montrer parfois impulsive et insupportable, c’est pour mieux nous rappeler qu’elle n’est qu’une adolescente de seize ans. Une enfant qui ne demande rien aux adultes par peur d’un énième rejet. Sa rencontre avec Hannah (Ida Engvoll) marque un tournant pour la jeune fille, persuadée de pouvoir créer un véritable lien avec cette adulte paumée en manque d’aventures.

© Epicentre Films

Nordic Queens

Lors des rares moments d’accalmie du récit, Paradise is Burning use de musique et de danse pour amplifier la sensation de liberté et d’espoir de ses héroïnes. Qu’il s’agisse d’un home-jacking avec piscine ou d’un moment de tendresse entre elles, la bande originale accompagne subtilement les humeurs des protagonistes. Elle apporte de la légèreté dans les meilleurs moments vécus par les sœurs. Et elle rend par ailleurs mémorables les deux cérémonies qui ponctuent le film : celle des premières règles de Mira, fêtées en fanfare par ses sœurs et les filles du quartier, puis celle de la première dent de lait de Steffi. Bouffées d’air dans un film qui ne manque pourtant pas d’évasion et d’oxygène malgré la dureté de son cadre, la musique offre un contre-point habile à l’énergie du désespoir face au système qui rattrape trop vite le trio.

Nouvelle pierre à l’édifice du coming of age nordique, Paradise is Burning confirme l’excellence des films venus des pays du Nord en matière de traitement narratif de l’enfance. De la variation vampirique Morse (2008) au vénéneux Thelma (2017), en passant par l’angoissant et graphique Egō (2022) et le brutal et fascinant The Innocents (2021), le cinéma nordique s’amuse des codes souvent binaires (bon élève ou cancre, pour n’en citer qu’un) qui caractérisent de nombreux enfants dans le 7ème Art. Nos petits bambins aux gueules d’ange peuvent effectivement se muer en monstres, ou du moins laisser poindre un caractère complexe et ambivalent dans leur rapport au monde. On est donc infiniment curieux de découvrir les prochains longs métrages sur le sujet réalisés par ces pays en salles.

Avec Paradise is Burning, Mika Gustafson livre un récit cru et émouvant sur une sororité prise en étau, pourtant unie contre vents et marées. On tient là sans conteste la jolie surprise nordique de cette fin d’été 2024.

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