Notre Monde de Luàna Bajrami : Pristina mon amour

Notre monde Luàna Bajrami

Luàna Bajrami ouvre la voix à la jeunesse d’hier comme d’aujourd’hui sur leur exclusion totale de la vie active mais aussi de la paix. Notre Monde fait entrer avec force la première collaboration franco-kosovare dans nos salles.

Un écho résonne certainement en vous lors de la prononciation du nom Luàna Bajrami. Si vous ne l’avez pas découverte par son premier long métrage projeté à la Quinzaine des cinéastes, La Colline où rugissent les lionnes… alors vous avez forcément admiré son jeu dans les déstabilisants Portrait de la jeune fille en feu ou L’événement. S’offrant alors la scène du Festival Cinemed telle une évidence, la jeune réalisatrice continue de dévoiler sa sensibilité et ses convictions à travers Notre Monde, dont nous avons pu échanger avec elle.

« Kosovo, 2007. Zoé et Volta quittent leur village reculé pour intégrer l’université de Pristina. À la veille de l’indépendance, entre tensions politiques et sociales, les deux jeunes femmes se confrontent au tumulte d’un pays en quête d’identité dont la jeunesse est laissée pour compte.« 

(c) Gaumont

« Là ou là bas »

Réalisé en un an et demi, Notre Monde constitue une œuvre troublante dans laquelle Luàna Bajrami a investie toute son énergie du scénario, à la direction d’acteurs, jusqu’aux décors. En plus de nous épater par le talent qu’elle dévoile à ses tout juste 22 ans, la réalisatrice fait avant tout preuve d’une grande soif de création et d’une ambition sans frontière. Une passionnée multi-fonction qui prouve sa persévérance à chaque étape.

Notre Monde fait appel à nos émotions en nous offrant une nouvelle voix à écouter, celle de la jeunesse kosovare. Bajrami  fait preuve pour cela d’une réelle intelligence de mise en scène. Placés au plus proche des personnages, à pouvoir distingué chaque trouble qui traverse leur visage, nous ne pouvons entrer qu’en empathie avec eux. Tout cela accompagné d’un franc réalisme et d’une tonalité grisâtre, qui permettent ainsi d’installer une atmosphère oppressante. Et si la réalisatrice se permet de la mettre en avant, c’est parce qu’elle est aussi concernée par cette culture.

« J’ai vraiment grandi avec cette double culture France/Kosovo que je prends comme une force aujourd’hui. Dans le travail d’écriture, ça m’offre une distance qui me rend alerte à des détails qu’on peut oublier quand on est quotidiennement là ou là bas. »

« Là ou là bas ». Deux mêmes mots témoignant pourtant d’une réelle fracture entre nos ethnies.

« Là bas, c’est une industrie en pleine construction, on peut encore inventer des règles. Moi j’ai cette chance d’avoir la connexion avec la France. C’est le premier film qui bénéficie de la coproduction entre la France et le Kosovo. »

Une ambition emprisonnée

L’origine française de la cinéaste, bouclier sensoriel la détachant quelque peu du quotidien kosovar, lui permet alors de développer un cinéma étranger cher à son coeur. Une aide financière qui aura permis à plusieurs projets de prendre vie, dont le Festival Cinemed est le premier témoin, dirigeant sa loupe sur le littoral méditerranéen. Comme nous avons déjà pu le mentionner auparavant, ce festival est une réelle porte ouverte aux nouvelles générations de créateur.ices. Eux mêmes, et le film en est la preuve, s’appuient sur ces échasses pour offrir la parole aux oubliés.

C’est par le biais d’un réalisme appuyé que Luàna Bajrami anime la voix de ses personnages qui « ont du mal à rêver ». Si nous sommes figés dans notre fauteuil de spectateur, intrigués par le puzzle narratif, les personnages et plus largement le peuple du Kosovo, eux, sont enfermés dans un « cadre qui emprisonne l’ambition ». Un triste constat qui plonge le spectateur dans un état déroutant. Une forme de malaise s’installe en même temps que nous sommes au cœur de cette bande, nous sentant aussi freinés et irrespectés qu’eux.

« On ne sait pas contre qui on est en colère, où diriger cette colère. On ne sait pas à qui s’adresser pour que les choses changent. Ça s’égare finalement. Il y a pas mal de manifestations, surtout en 2004… Mais cette colère là est difficile à diriger, à adresser. »

(c) Gaumont

La mémoire en échos

Si le film cible la génération de 2007, la réalisatrice semble bien vouloir nous faire comprendre que les souffrances ne datent pas d’hier et sont loin d’être terminées. Au delà d’un appel à la considération, le film semble animé d’un élan d’espoir. À travers ses désillusions, la jeunesse aussi fictive que réelle continue son combat. La réalisatrice en est la preuve en personne.

« La première approche que l’on a eu, c’était des petits rendez-vous seul à seul où on parlait des personnages, de ce qu’ils avaient pu traverser. C’était intéressant de voir à quel point ça faisait écho à l’acteur. L’acteur ne se cache jamais complètement derrière le personnage et vise-versa. »

Film miroir, il transparaît alors une réelle énergie de groupe, une envie d’avancer ensemble. En plus d’être sur tous les fronts, la réalisatrice ravive un esprit collectif et agite l’espoir.

« L’industrie du cinéma, là bas, est très petite. Il n’y a pas de structure, d’agence, c’est un travail de terrain. Je connaissais une grande partie du casting parce que j’ai aussi tourné en tant qu’actrice avec des réalisateurs locaux. Ça devient très vite une grande famille. »

Aussi déroutant qu’important, Notre Monde questionne notre rapport à l’autre, de là ou de là bas. Marquant la césure entre nos deux cultures, la réalisatrice nous place pourtant au plus proche de cette jeunesse frustrée et muselée. De 2007 à aujourd’hui, la ligne semble fine d’après la ferveur de combattre qui bout encore en eux.

En salles dès le 17 avril 2024 chez Gaumont

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