Nina et le secret du hérisson est l’exemple parfait que le cinéma d’animation est autre chose qu’un sous-genre pour les enfants.
L’un écrit, l’autre dessine, ensemble ils créent des merveilles. Alain Gagnol et Jean-Loup Felicioli travaillent à quatre mains depuis 1995, mais comptabilisaient seulement 2 long-métrages à ce jour (Une vie de chat, Phantom boy). Et pourtant, le cinéma d’animation français voit ses habitudes bouleversées dès lors qu’un de leur long-métrage fait surface, comme une trésor qui ressurgit. Présenté dans le cadre de l’évènement « Annecy s’anime », Nina et le secret du hérisson marque le grand retour du duo, 8 ans après leur dernier film.
“Nina aime écouter les histoires que lui raconte son père pour s’endormir, celles d’un hérisson qui découvre le monde. Un soir, son père, préoccupé par son travail, ne vient pas lui conter une nouvelle aventure… Heureusement, son meilleur ami Mehdi est là pour l’aider à trouver une solution : et si le trésor caché dans la vieille usine pouvait résoudre tous leurs problèmes ? Commence alors une grande aventure où il faut échapper à la vieille voisine et à son chat Touffu, déjouer les pièges du gardien et embobiner son gros chien… Sans compter le petit hérisson qui mène l’enquête à leurs côtés !”
L’hérisson qui n’en était pas un
Si proche et si loin du récit à la fois, le hérisson est d’abord érigé comme un animal égaré se retrouvant au beau milieu d’une usine, et redirigé dehors par un employé sympathique. Et si c’était lui, le héros de ce film ? C’est ce que nous laissent croire les réalisateurs du film pendant toute sa première partie et par son titre. D’autant plus que l’animal introduit littéralement le film, dans une jolie scène d’ouverture colorée et musicale. Comme un hommage au cinéma de divertissement et aux histoires, tout le prologue réside dans l’intérêt d’une petite fille du nom de Nina, pour les histoires que lui raconte son père pour s’endormir. Et dans ces dernières, l’on retrouve ce même hérisson, transformé en héros par son père à la manière des vieilles animations de Mickey en noir et blanc.
Rapidement, le mammifère piquant sort de l’ordinaire et quitte son papier pour devenir un personnage animé. Au passage, il montre l’attachement des réalisateurs pour l’artisanat, malgré leur transition vers le numérique, prouvée par un rendu d’animation qu’on ne voit dans aucun autre cinéma. Impossible de penser à autre chose qu’une structure narrative simple quand on voit que nous sommes plongés au départ dans les histoires du père, à la manière d’un « Il était une fois… ». Le hérisson disparaît petit à petit du long-métrage pour devenir la conscience de Nina, sous la forme d’un personnage qu’elle chérit plus que tout car créé par son héros de toujours, son père.
Un futur radieux dans un monde
« Tu ne crois pas que tu es un peu grande pour ça ? Les histoires c’est pour les bébés, non ? » s’exclame son père. Essentielles dans les deux précédents long-métrages du duo de réalisateurs, les figures familiales ne sont jamais idéalisées, parfaites. Au contraire, elles sont représentées telles quelles, avec leurs hauts et leurs bas, évoluant toujours dans un réalisme plus ou moins défini. Si les villes de Paris et New York étaient facilement reconnaissables dans Une vie de chat et Phantom Boy, le licenciement et le chômage dans Nina et le secret du hérisson sont caractérisés par des plans d’une agence Pôle Emploi telle qu’on en trouve partout en France. Là où le pessimisme des adultes est lié à leur vie amoureuse, professionnelle ou leur situation économique, celui des enfants est quasi-intégralement alterné par l’état de leur famille. Dans Phantom Boy, ce n’est pas son cancer qui démange le héros, c’est la souffrance de sa mère. Dans Nina et le secret du hérisson, l’évènement tragique qu’est le licenciement du père, chamboule l’ordre de la vie.
Loin de vouloir proposer un film d’animation social et réaliste, il est surtout d’une originalité et d’une créativité rare. En s’inspirant du réel et en y mêlant l’imagination, on obtient une bonne base permettant aux personnages d’y exister librement. En nous invitant à suivre les points de vue de plusieurs personnages ou groupes et pas seulement celui de Nina, Alain Gagnol et Jean-Loup Felicioli aident ainsi les spectateurs à mieux saisir les motivations et les enjeux des personnages. Ils permettent également aux enfants de ne pas être laissés dans la case dans laquelle ils sont rangés habituellement. A l’inverse, ils sont acteurs d’un évènement concret en se laissant porter par leur candeur, tandis que les adultes, eux, sont pour une fois inactifs et sans espoir.
Le polar comme signature
Ils l’ont fait une fois, ils l’ont fait deux fois, et ils le font désormais une troisième fois. Les réalisateurs proposent un long-métrage d’animation explorant le genre du polar, destiné à des enfants à partir de 6 ans. Vous l’aurez compris, c’est plutôt rare, d’autant plus qu’il s’agit ici d’un film de braquage. On n’y retrouve pas Al Pacino, Harvey Keitel, George Clooney ou encore Robert de Niro, mais bien deux enfants dans les mêmes situations que l’on retrouveraient dans ces films.
Les inspirations sont nombreuses, mais n’annihilent jamais la tendresse, la douceur et l’humour des scènes qui les entourent. La preuve avec l’affiche de La nuit du chasseur de Charles Laughton à côté de celle de Mon Voisin Totoro d’Hayao Miyazaki dans la chambre du frère de Mehdi. Foisonnant d’idées de mise en scène, la figure du chien revient encore une fois après celui qui aboie dans Une vie de chat. Cette fois-ci en tant que chien de garde, ingénieusement ridiculisé par des scènes où Nina et son ami Mehdi trompent son odorat et son ouïe.
Nina et le secret du hérisson, c’est le pari réussi d’un troisième succès pour le duo Gagnol & Felicioli, qui continue à visiter l’univers inexploré par ailleurs du polar pour enfants (mais pas que !). Et cela, dans des histoires où la violence du monde touche les enfants, mais sans jamais les éloigner de la lumière et de l’espoir.