Monkey Man débarque dans les salles françaises avec une réputation de John Wick à Mumbai.
Révélé au grand public dans Slumdog Millionaire (2008) de Danny Boyle, le jeune Dev Patel passe cette fois-ci à la réalisation pour son tout premier long-métrage, Monkey Man.
« Un jeune homme gagne péniblement sa vie dans un club de combat clandestin où, nuit après nuit, portant un masque de gorille, il se fait battre par des combattants plus populaires pour de l’argent. Après des années de rage refoulée, il découvre un moyen d’infiltrer l’enclave de l’élite de la ville. »
Darwin Awards
Acheté en 2021 par Netflix pour environ 30 millions de dollars (soit le double du budget du film), le film Monkey Man restait pourtant dans les cartons de la plateforme depuis lors. Selon une source interne de World of Reel, Netflix craignait une détérioration de ses relations avec le marché indien pour de futures productions. La raison ? La représentation peu reluisante d’un haut responsable de la droite nationaliste hindou dans le film. Monkeypaw Productions, société de production d’un certain Jordan Peele, voit le potentiel du film de Dev Patel et rachète alors les droits du film. Ce dernier bénéficie alors d’une diffusion en salles par Universal dans le monde entier.
De tout ce chaos de production et distribution, on peut en retirer deux conclusions. La première est celle – en tant que spectateur amateur de film d’action – de pouvoir naïvement profiter de Monkey Man sur grand écran dans les conditions d’une salle de cinéma. La deuxième est d’ordre plus politique. Netflix prend clairement une position de vouloir produire du contenu qui n’offense personne, tout en s’assurant de ne se mettre aucun gouvernement à dos, quitte à brider artistiquement des metteurs en scène avec des propositions fortes.
Raging Ape
Ceci étant dit, parlons un peu du contenu de Monkey Man. Le film suit le parcours d’un jeune homme des bidonvilles de Mumbai, le « kid » interprété par… Dev Patel lui-même. En effet, le jeune acteur britannique d’origine indienne avait toujours rêvé d’incarner une vedette de film d’action. Néanmoins, Dev Patel ne se contente pas de mettre en scène une série B pleine d’hémoglobine en imitant mollement des classiques du cinéma. Au contraire. Monkey Man tente de se doter d’une identité propre.
Si la comparaison avec John Wick vient en tête car la saga d’action porté par Keanu Reeves est l’une des plus rentables de ces dernières années, elle n’est pas tout à fait pertinente ici. Monkey Man, conscient de passer après le mastodonte de Chad Stahelski, en plaisante littéralement dans une scène du film. Dans celle-ci, le héros doit acheter une arme. Le vendeur d’arme lui présente un pistolet « comme dans John Wick ». Proposition que le Kid décline, préférant opter pour une autre arme de poing. Sans chercher la subtilité, Dev Patel livre avec cette scène une (légère) note d’intention sur l’identité de son film.
Dance Monkey Man
Alors, si ce n’est pas un John Wick, quelles sont les armes de ce Monkey Man ? Brisons le suspense en affirmant que les scènes d’action sont effectivement très satisfaisantes. Jouissives, nerveuses, elles viennent comme un vent de fraicheur dans le paysage du cinéma de divertissement contemporain. De plus, il faut saluer la maestria technique du film. Pour un budget de 15 millions de dollars et pour un premier film en particulier. Dans son contenu, rien ne semble indiquer un film avec de faibles ambitions. Dev Patel parvient à mettre en scène un film d’action intelligent, ludique et décalé.
De surcroît, les scènes d’action ont la qualité rare de ne pas être le seul argument du film. En effet, Monkey Man est bien plus un thriller qu’un action-movie. Le long-métrage s’inscrit plus largement dans la lignée des revenge-movie coréens comme A bittersweet life de Kim Jee-Woon ou The Chaser de Na Hong-Jin.
Aussi, le rythme du film de Monkey Man prend ses marques sur ce modèle. Le film de Dev Patel n’hésite pas à ralentir la cadence. Cela a pour effet de donner de la cohérence au récit (mais cause quelquefois une baisse d’intensité comme dans la première partie du long-métrage) et de créer une mythologie propre sur des bases solides. La magie opère progressivement jusqu’à aboutir à un climax décomplexé et passionnant. Dev Patel prend le meilleur de la tradition hollywoodienne et du cinéma asiatique pour arriver à un résultat unique.
Gods will be watching
Monkey Man plante son décor dans un Mumbai proche de l’implosion. Patel en acteur-réalisateur s’érige en défenseur des opprimés du peuple indien. La violence exacerbée du film étant le moyen d’expression des classes populaires et des ostracisés face à l’injustice et au fanatisme croissant en Inde. C’est sans aucun doute ce discours politique fort qui a valu au film son bashing par la droite nationaliste indienne. Malheureusement, le film cède souvent à un manque de subtilité criant (cf. les scènes de flashback répétitives) et le scénario use de ficelles cousues de fil blanc. Néanmoins, Dev Patel livre une oeuvre d’une sincérité remarquable. Si le film ne brille pas particulièrement dans son écriture, il excelle par contre dans son esthétique.
Reprenant des images évocatrices de la religion hindou, tout en iconisant le corps d’un héros presque demi-Dieu, Dev Patel fait muer peu à peu son film d’action comme une oeuvre spirituelle. L’image sublime du film y contribue en grande partie. Le travail de Sharone Meir (qui a déjà travaillé, excusez du peu, sur Whiplash de Chazelle notamment) en tant que directeur de la photographie est à saluer. In fine, le Mumbai dépeint dans le film est organique et crédible.
Monkey Man est le film de divertissement qu’il pense être. Un film d’action aux accents politiques et spirituels, porté par un Dev Patel impressionnant autant devant que derrière la caméra. Un premier film jouissif plus qu’encourageant. Le Slumdog Millionaire a bien grandi.