Mémoires d’un corps brûlant de Antonella Sudasassi Furniss : Portrait de la vieille fille en feu

Lettre d’amour à nos grands mères, Mémoires d’un corps brûlant libère la parole de nos aînées, prisonnières des griffes de leurs époux.

Enfant, n’avez-vous jamais rêvé de glisser dans les pantoufles de vos grand-parents, afin de ne plus rien devoir à personne, profiter pleinement de votre temps ? C’est ce qu’il est enfin offert à Ana… qui semble pourtant, elle, enchaînée à son passé. Récompensé par le prix du public de la section Panorama à la Berlinale 2024, Mémoires d’un corps brûlant ouvre la parole sur le destin intimement lié des femmes, pour le meilleur comme pour le pire.

« Ana a 68 ans et l’âge où on veut vivre enfin pour soi. Après tant d’années passées sous le joug du père, du frère, du mari, elle vit sa vraie jeunesse, s’épanouissant dans une féminité enfin libérée. Elle nous transporte d’une époque à l’autre en évoquant les souvenirs d’une vie entre tabous, sentiment de culpabilité et sexualité réprimée. »

Mémoires d’un corps brûlant de Antonella Sudasassi Furniss
© Nour Films

On ne voit bien qu’avec le cœur

Nous en avions déjà été témoins l’an dernier, le cinéma comporte bien moins de barrières que ce que l’on veut lui imposer. Les genres se mélangent pour offrir des œuvres riches et surprenantes. Avec Les filles d’Olfa, Kaouther Ben Hania conquérait les cœurs des cinéphiles, jusqu’à trouver sa place aux Oscars. Avec Mémoires d’un corps brûlant, Antonella Sudasassi Furniss continue d’abattre les frontières pour mêler documentaire et fiction.

La réalisatrice emprunte la voie des souvenirs et nous invite à les découvrir à ses côtés. Parcourant les vestiges de ses protagonistes, le cinéma se métamorphose en art de l’écoute. La mise en scène complète cette idée en jouant avec des plans séquences floutant l’espace-temps. Nul besoin de chercher à rendre crédible le contexte de la fiction, les différentes générations et discours s’entrecroisent dans un même espace, où le temps n’existe plus. Seuls les mots comptent, les images sont à leurs services.

Être une femme libérée, c’est pas si facile

Alors que le temps semble enfreindre toute règle de logique, il ne parvient à sauver nos grands mères torturées. Mémoires d’un corps brûlant enferme son personnage (fictif) dans un huis clos étouffé par les souvenirs décrits par les voix extra-diégétiques (réelles). Enfermée dans cette maison, Ana est responsable du poids de son corps, de son esprit mais aussi de chaque témoignage.

L’idée, pour ces femmes, est de « se comprendre en tant que femmes dans un monde qui les brimait ». Ana est à la fois porte parole et poupée vaudou de toutes ces souffrances. Et si le film, malgré sa réalisation théâtrale, parvient à toucher son public, c’est parce que son discours n’appartient pas seulement à une ancienne génération. Ce n’est pas sans raison que des films tels que How to have sex continuent de dénoncer les violences sexuelles (notamment conjugales) dont sont victimes les femmes.

Le cercle des témoins anonymes

En mêlant fiction et réalité, Mémoires d’un corps brûlant permet à ses protagonistes de garder leur anonymat tout en libérant une parole d’une importance sans pareil. La réalisatrice explique que « c’est la conversation [qu’elle n’a] jamais eue avec [ses] grands-mères ». Ce récit de femmes se confronte cependant à la problématique de rendre l’universel impersonnel. À offrir trop de points de vue (huit au total), nous ne parvenons pas vraiment à trouver d’angle d’accroche. Force est de se questionner : à qui appartient quoi ? Que cherche-t-on à nous raconter ?

Le message se perd quelque peu, car du pouvoir de la femme à sa souffrance la plus extrême, la ligne est fine. Si les discours semblent vouloir défendre qu’être une femme « c’est magnifique », le peu de lumière que les murs laissent entrer ne nous laisse qu’un mince brin d’espoir. Nos grands-mères semblent tout aussi prises en otage que les multiples photos encadrées dans cet espace clos.

© Nour Films

Et si les réels récits chevaleresques appartenaient à nos grands-mères ? Au cœur de leur intimité dévoilée dans Mémoires d’un corps brûlant, se dessinent des portraits de guerrières dont la carapace est aussi délicate que de la porcelaine.

En salles le 20 novembre 2024

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