Avec Master Gardener, Paul Schrader, maître dans l’art de la complexité humaine, ponctue sa trilogie officieuse d’hommes solitaires avec un optimisme surprenant.
Scénariste reconnu pour ses collaborations avec Martin Scorsese, Paul Schrader est l’un des rares cinéastes indépendants américains qui s’intéressent encore à l’époque contemporaine. Contrairement à ses pairs qui pour beaucoup, préfèrent élaborer sur le passé, lui poursuit son analyse de l’Amérique actuelle. Après Sur la route de la rédemption (avec Ethan Hawke) et The Card Counter (avec Oscar Isaac), qui constituaient deux portraits d’hommes rongés par la violence et la culpabilité, Paul Schrader termine sa lancée avec Master Gardener. Les thèmes abordés sont relativement connus de son public mais cette fois, une lueur d’espoir vient noyer son cynisme habituel.
« Narvel est un horticulteur dévoué aux jardins de la très raffinée Mme Haverhill. Mais lorsque son employeuse l’oblige à prendre sa petite-nièce Maya comme apprentie, le chaos s’installe, révélant ainsi les sombres secrets du passé de Narvel… »
La fine fleur de la rédemption
Selon Narvel Roth (Joel Edgerton), « le jardinage est la première forme d’art ». Il nécessite autant de patience et de soin que la rédemption d’une âme. Mais les jardins, aussi beaux soient-ils, découlent souvent d’un acte de violence. La profession possède même quelque chose de brutal : couper, arracher, tailler, planter… Néanmoins, cette brutalité aspire toujours au renouveau ; aux secondes chances.
Avec Master Gardener et son allégorie florale, Paul Schrader dissèque les trajectoires de vie et s’interroge sur notre capacité à changer. Il nous présente un monde où tous les maux semblent résorbables, et c’est profondément séduisant. Pour Narvel, le verre est en réalité à moitié plein et Joel Edgerton en exprime parfaitement toutes les facettes.
A travers son trio de personnages atypique, Paul Schrader nous donne à voir ce qui pourrait être. Il nous enveloppe dans une candeur musicale aussi apaisante que la langueur visuelle, et nous transporte brillamment dans l’onirique. C’est peut-être un tantinet idéaliste, mais c’est surtout très humain, et ça fait du bien.
Utopie grotesque ?
Toutefois, le décor que nous plante le réalisateur est quelque peu délicat. Petite-nièce de Norma Haverhill (Sigourney Weaver), Maya (Quintessa Swindell) est une jeune métisse d’au moins vingt ans la cadette de Narvel. Diamétralement opposés l’un à l’autre, leur duo est une idée presque impossible à articuler, mais c’est pourtant le chemin que décide d’emprunter Paul Schrader. Difficile alors de différencier si c’est consciemment ou non, tant le fossé qui les sépare est grand.
Bien que le film soit jonché de bienveillance, l’insurgence n’est pas loin. Le Toronto Film Festival avait d’ailleurs décliné de le projeter, soucieux du contexte racial de ce dernier. S’ajoute à cela des écarts d’âge ainsi que des dynamiques de domination qui ont de quoi hérisser le poil, notamment quand ils prennent racines sur une ancienne plantation. C’est gros, à la limite de l’absurde. Mais c’est aussi en cela que le réalisateur vient cueillir et tester notre moralité.
En fin de compte, l’ambivalence de Master Gardener captive autant qu’elle ne révolte. Paul Schrader la met au coeur de son récit et de ses personnages, aussi bien dans la force de Sigourney Weaver que la douceur de Quintessa Swindell. Libre aux spectateurs de croire en sa vision, ou pas.
Au travers de cette fable, Paul Schrader dissèque le parcours de l’âme humaine. Certains y verront une obscénité affligeante, d’autres se trouveront envoûtés par sa poésie. Ce qui est sûr, c’est que tous quitteront Master Gardener piqués à vif, avec pour certains une profonde envie d’aimer.