La réalisatrice Katell Quillévéré signe son retour avec Le Temps d’aimer, qui nous invite à questionner la place des secrets dans le couple.
Sept ans après Réparer les vivants, Katell Quillévéré poursuit son exploration des blessures humaines avec Le Temps d’aimer.
« 1947. Sur une plage normande, Madeleine (Anaïs Demoustier), serveuse dans un hôtel-restaurant, mère d’un petit garçon, fait la connaissance de François (Vincent Lacoste), étudiant riche et cultivé. Entre eux, c’est comme une évidence. La providence. Si l’on sait ce qu’elle veut laisser derrière elle en suivant ce jeune homme, on découvre, avec le temps, ce que François tente de fuir en mêlant le destin de Madeleine au sien… »
« À Kairos »
Le Temps d’aimer, c’est avant tout le portrait d’une femme qui se reconstruit après avoir connu l’humiliation de la tonte des femmes à la Libération. Les vidéos d’archives qui introduisent le film permettent de bien saisir la difficulté de la situation de Madeleine, et de mieux comprendre pourquoi il lui semble si difficile d’aimer son fils.
François aussi possède une fêlure, qui constitue à l’époque un trop lourd secret à cacher : il aime les hommes. Ce portrait d’une homosexualité subie, une fatalité que François se doit de cacher est regrettable. La représentation que le film nous donne de l’homme homosexuel durant l’après-guerre est en effet bien trop convenue… mais servira peut-être à rappeler qu’à l’époque, l’homosexualité était encore criminalisée, peut-être même plus que pendant la seconde guerre mondiale.
Néanmoins, cela n’empêche pas les personnes LGBT de développer leur propre culture, notamment à travers la revue Arcadie, que l’on peut apercevoir dans le film. François étant un homme cultivé, sa sexualité transparaît aussi à travers ses nombreuses lectures : en plus d’Arcadie, on le voit citer un poème de Stefan Zweig et un exemplaire du Portrait de Dorian Gray se trouve dans son bureau, ce qui pourra aider sa fille à comprendre qui était son père.
Tel le Dieu grec de l’opportunité, Kairos, nos deux protagonistes vont saisir les occasions quand elles se présentent pour fuir leur passé. Les secrets sont d’ailleurs une part entière de la relation de Madeleine et François, d’autant plus que beaucoup de choses se comprennent par des non-dits. Le contraste entre Madeleine et François, que ce soit de par leurs personnalités ou leurs classes sociales, pèse sur leur couple. Comment pourraient-ils bien se comprendre ? Pourtant, de manière plutôt paradoxale, leur relation semble se renforcer au fil des années, alors que les deux semblent difficilement parvenir à surmonter leur passé et leurs angoisses, ne pouvant s’ignorer eux-mêmes.
Le temps de grandir
Le point fort du film reste probablement le personnage de Daniel, que l’on voit évoluer de sa plus tendre enfance jusqu’à la fin de l’adolescence. Ce garçon grandit sans ressentir l’amour de sa mère, en recherche constante de son père alors que Madeleine refuse de lui donner la moindre information sur lui. Il est important de questionner cet amour maternel, vu comme inné dans notre société, au détriment de beaucoup de femmes.
Comme nous le dit lui-même Vincent Lacoste en conférence de presse, cette incarnation du personnage de Daniel par trois acteurs est « un véritable tour de force ». Katell Quillévéré expliquera ensuite que Josse Capet (le Daniel de dix ans) et Paul Beaurepaire (le Daniel de 18 ans) ont regardé « des rushs des répétitions des uns des autres parce-qu’[elle] cherchai[t] un peu des identifiants communs sur la gestuelle, la démarche, une forme de timidité. Chaque âge avait ses évolutions mais il fallait une sorte de trait commun ». Ces trois interprétations de Daniel permettent aussi de mieux se repérer parmi les nombreuses ellipses du film. Quant à Madeleine et François, ils ne prennent pas une ride…
La multitude de récits constitue à la fois un défaut et une force de Le Temps d’aimer : on découvre différentes facettes de l’époque, mais le résultat ne semble jamais totalement abouti et nous laisse sur notre faim. On retiendra surtout les costumes splendides et les belles performances d’Anaïs Demoustier et de Vincent Lacoste, preuve avec Illusions perdues que les films d’époque vont à ravir à ce dernier.