Le Capitaine Volkonogov s’est échappé de Merkoulova & Tchoupov : Goodbye Staline

Le Capitaine Volkonogov s’est échappé

Le Capitaine Volkonogov s’est échappé est une véritable plongée dans l’horreur du mécanisme de la Grande Terreur stalinienne.

Filmé comme un thriller aux courses-poursuites troublantes où les chasseurs sont encore plus pourris que le chassé, Le Capitaine Volkonogov s’est échappé est d’autant plus signifiant que deux réalisateurs russes en exil le consignent.

URSS, 1938. Au pic de la Grande Terreur, Staline purge ses propres rangs. Les hommes qui mettent en œuvre la répression sont eux-mêmes arrêtés et exécutés. Se sachant à son tour condamné, le capitaine Volkonogov s’échappe. Dans sa fuite, une vision le frappe. Pour sauver son âme, il devra se confronter aux familles de ses victimes et obtenir leur pardon.

Le Capitaine Volkonogov s’est échappé
© Look Film – Homeless Bob – Kinovista

Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov, deux noms en devenir

Scénaristes et réalisateurs jusque-là peu identifiés, ils ont aujourd’hui quatre films à leur actif. Tous marqués par des thèmes tabous en Russie. Leurs deux premiers longs, Parties Intimes (2013) et About Love. For Adults Only (2017) sont caractérisés par une envie de montrer et de parler de sexe dans une société dont le mutisme n’est que le reflet d’un régime autocratique jusqu’au boutiste. Dans une ambiance tragi-comique étonnante, tous les personnages y pensent, fantasment, se masturbent, font l’amour mais n’en parlent pas. À quoi bon ?

Leur troisième long métrage,  L’Homme qui a surpris tout le monde (2018), traite cette fois-ci d’un homme, qui, se sachant condamné par une maladie incurable, décide de se travestir pour tromper la mort. Je vous laisse imaginer quels peuvent être les effets de cette transformation dans une société russe où le virilisme et le dégoût envers les communautés LGBT+ semblent plus fort que jamais. Récompensé en 2018 du Grand Prix au Festival du cinéma russe de Honfleur, voilà la première reconnaissance internationale de leur travail.

Volkonogov est un sujet plus nerveux. Il lorgne aussi bien sur le thriller que le film d’action et le cinéma fantastique, aux détours de séquences hallucinatoires qui en jettent. Une nouvelle étape s’ouvre à eux. Grand prix du jury au Festival de cinéma européen des Arcs, prix du public à l’Étrange Festival et une sélection officielle en compétition de la Mostra de Venise. Show must go on.

LE CAPITAINE VOLKONOGOV S’EST ECHAPPE
© Look Film – Homeless Bob – Kinovista

Un récit cauchemardesque

Il n’y a quasiment aucun espoir qui ressort de cette chasse à l’homme. L’URSS ne nous apparaît que sous un amas de destins contraints et paralysés. A moins qu’ils ne soient déjà anéantis par les mécanismes d’un régime prêt à condamner des innocents, de peur qu’ils soient un jour coupables. D’un pessimisme rare, il n’est même plus question d’expiation.

Volkonogov (Youri Borissov) et son meilleur ami, Kiddo (Nikita Koukouchkine), se rendent un jour à une série d’exécutions. Le bourdonnement d’une machine à vapeur couvre le bruit des interminables coups de feu. Une balle, un mort, voilà un ratio dont se vante le bourreau. D’abord passif, Kiddo doit montrer à son chef qu’il est capable d’ôter la vie. Obligé d’agir, tout tremblotant, et à la recherche du « meilleur » angle, son crâne rasé et ses yeux exorbités ne sont pas sans rappeler ceux du célèbre protagoniste de Requiem pour un Massacre. Si l’horreur se surpasse toujours, en voilà un point culminant.

Mais durant la Grande Terreur, les bourreaux d’hier sont les condamnés du lendemain. Le Capitaine Volkonogov, lui, a senti le vent tourner. Et il fuit, là où le pardon est bien plus précieux que l’intégrité de la patrie.

La quête de rédemption

La richesse de l’œuvre réside dans sa faculté d’interroger la responsabilité morale de l’individu au sein d’un système à la puissance écrasante et aliénante. Si Volkogonov devient un ennemi de la nation, c’est d’abord car il comprend que le Paradis lui sera inaccessible. Ce n’est ni pour se faire pardonner, ni pour remettre en cause l’idéologie stalinienne. C’est un personnage qui vient s’excuser comme un enfant le ferait devant sa mère quand il vient de casser un vase. Tout penaud devant des personnes dont il a tué les proches.

La grande réussite du projet de Merkoulova et Tchoupov repose néanmoins sur ce personnage d’anti-héros pour qui on parvient finalement à éprouver de la peine. Alors que la cruauté de ses actes s’expose par des flashback fluides (sans transition ni changement d’époque), Volkonogov nous apparaît comme dépassé par un système dont la peur gèle toute humanité. Il est en revanche dommage que ce personnage semble trop épris par sa quête (égoïste) du Paradis. Il aurait été plus puissant de le faire réfléchir sur sa propre condition au sein du régime dans lequel il a été bien plus qu’un simple rouage.

Le Capitaine Volkonogov s’est échappé
© Look Film – Homeless Bob – Kinovista

Un devoir de mémoire

Merkoulova et Tchoupov se sont saisis du contexte implacable de la Grande Terreur, 750 000 exécutions en un peu plus d’un an. Il s’en sont aussi affranchit (par les décors d’influence expressionniste et les tenues anachroniques) pour dénoncer des idéaux russes tenaces et offrir plus d’universalité à leur récit. Depuis plusieurs années, des voix s’élèvent de Russie pour défendre l’idée selon laquelle la Grande Terreur était nécessaire pour le pays. En parallèle, selon un sondage de 2018 par The Moscow Times, la moitié des russes de moins de 24 ans n’ont jamais entendu parler des millions de morts. Aussi, une nouvelle statue de Staline est érigée dans la ville de Kirov en 2020.

Le Capitaine Volkonogov s’est échappé résonne ainsi comme un rappel essentiel d’une marque indélébile de l’histoire russe et un appel à ce que l’histoire ne soit pas toujours du côté de la barbarie. Depuis la guerre entre l’Ukraine et la Russie, ce film est malheureusement interdit dans ces territoires. Pas sûr que le message passe.

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