La plus précieuse des marchandises de Michel Hazanavicius : La Zone d’un terroir

Deux ans après la comédie Coupez !, Michel Hazanavicius revient sur le devant de la scène avec son adaptation du roman La plus précieuse des marchandises de Jean-Claude Grumberg.

Un dieu de train, des larmes, du rire et quelques engourdissements scénaristiques plus loin, La plus précieuse des marchandises nous emmène dans un récit dont la profondeur visuelle surpasse de loin la profondeur thématique.

« Il était une fois, dans un grand bois, un pauvre bûcheron et une pauvre bûcheronne. Le froid, la faim, la misère, et partout autour d´eux la guerre, leur rendaient la vie bien difficile. Un jour, pauvre bûcheronne recueille un bébé. Un bébé jeté d’un des nombreux trains qui traversent sans cesse leur bois. Protégée quoi qu’il en coûte, ce bébé, cette petite marchandise va bouleverser la vie de cette femme, de son mari, et de tous ceux qui vont croiser son destin, jusqu’à l’homme qui l’a jeté du train. Leur histoire va révéler le pire comme le meilleur du cœur des hommes. »

Dans un sous-bois enneigé, pauvre bucheronne ramasse quelques fagots. Pour se chauffer ou pour l'échange.
© IMDb

C’est reparti comme en 40

À travers ce (très) long synopsis l’on dévoile déjà une volonté, celle de créer un récit. Iconiser par ce quasi-anonymat ses personnages principaux relève, aujourd’hui comme en 2019 pour la publication du livre, d’un écart à la réalité assumé. Nous suivons bel et bien des personnages. Et là prend racine à la fois toute la beauté et tous les mots de La plus précieuse des marchandises.

Le film se regarde comme un conte, dont la structure est toute tracée. Sans que ce soit reprochable, cette construction aux fondations solides mais attendues est un élément récurent des films du réalisateur. Élément avec lequel il joue ici pour asseoir le fantastique de son récit tout comme il en jouait pour ironiser sa série des OSS.

Bottes cirée, hache émoussée

De ce jeu, dont il tire parti en narrant adroitement un récit dont la racine est finalement assez commune, nous pouvons retirer deux choses. Soit on y est aspiré, comme un enfant découvrant les contes des frères Grimm (pas les originaux on espère). Soit on en ressort brutalement à la simple évocation du nom des protagonistes. Car, dès les premières phrases du film, nous devons accepter qu’on ne composera pas avec des personnes, mais des personnages.

Ce problème, qui n’en est pas un, rend le film malheureusement impersonnel. Les répliques, bien que très bien interprétées, sont attendues. Elle ne font que fondre le récit dans sa volonté d’iconiser. Les tournures, les noms, intonations nous font sentir tout le poids littéraire d’où le film est tiré. Malheureusement, ce qui fonctionne à l’écrit ne fonctionne pas toujours à l’oral, surtout quand la direction d’acteur.ices adopte une approche aussi naturaliste. Mais on peut voir derrière une volonté de rendre La plus précieuse des marchandises intemporel.

L’image manquante

Axer une histoire sur les camps de concentration et l’héritage de la Shoah est un pari risqué. Comment raconter du neuf ? Faut-il seulement le faire ? Et là où un film comme La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer répond avec sa manière formelle singulière, Hazanavicius prend le contre-pied. En effet, le film n’a aucunement vocation de renouveler ni le film de guerre, ni celui du drame, ni aucun genre ou médium. En revanche, il se veut être un schéma reproductible à l’infini, quelle que soit l’époque, la situation, quel que soit le drame qui se joue.

L’avantage d’utiliser l’animation, c’est justement son intemporalité. Des dessins mouvants, une technologie plus vieille encore que le cinéma, pour raconter un récit vieux comme le monde, et qui survivra non seulement les camps, mais aussi ce film. Et dans ces visuels aux traits épais, il est dommage de trouver des caractérisations qui le sont tout autant.

L’animation, aussi belle soit-elle, laisse malheureusement place à cette même impersonnalité que celle des dialogues. Là où les arrières-plans fourmillent de détails et rappellent les meilleures années d’Eyvind Earle, les personnages, bien que très vivants par leurs mouvements, ne transparaissent encore que comme tels : des personnages.

La hutte de pauvre bucheron et pauvre bucheronne. De bois, de paille, écrasé par une imposante couche de neige.
© IMDb

La plus précieuse des marchandises est bien ce film qui fera pleurer. Certes il l’est par facilité, mais oui, il est « déchirant », quoique cela veuille dire. Et qu’il le soit grossièrement ou subtilement, il nous rappelle que nous avons besoin d’histoires. En guise de clôture, à la fois du film et de la carrière de l’acteur, c’est la voix de Jean-Louis Trintignant, que nous entendons pour la dernière fois, finir par nous rappeler que « l’amour fait que la vie continue. Et le reste est silence. »

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