La Pampa d’Antoine Chevrollier : Jojo’s Rural Adventure

Sélectionné à la Semaine de la Critique au Festival de Cannes en 2024, La Pampa signe le passage au long métrage du réalisateur Antoine Chevrollier, habitué jusqu’ici au format sériel.

C’était une de mes grosses attentes cinématographiques du cru 2025. « C’était », puisque je l’ai maintenant vu. Pas de panique. En effet, la curiosité m’a très vite piquée lorsque j’ai appris le passage d’Antoine Chevrollier du milieu sériel à son premier long métrage. Débarqué à Paris sans jamais avoir foulé le banc d’une école ou d’une fac de cinéma, ce quadra’ originaire du Maine-et-Loire a fait ses armes petit à petit, jusqu’à se voir confier la casquette de réalisateur sur plusieurs épisodes des séries Le Bureau des Légendes et Baron Noir, puis de créer la série Oussekine (2022), diffusée sur Disney+. Pas mal pour un autodidacte pure souche. Mais alors… Après une écriture de scénario étalée sur près de trois ans, La Pampa, actant le passage de Chevrollier aux salles obscures, tient-il toutes ses promesses ?

« Willy (Sayyid El Alami) et Jojo (Amaury Foucher) sont amis d’enfance et ne se quittent jamais. Pour tuer l’ennui, ils s’entraînent à La Pampa, un terrain de motocross. Un soir, Willy découvre le secret de Jojo. »

© Tandem

L’intro’ de barjot

Dès la séquence d’ouverture, Antoine Chevrollier nous catapulte dans un environnement rural où les « p’tits mâles » du coin jouent les têtes brûlées dans une mise en scène énergique et colorée. Jojo et Willy, sous l’œil amusé de leurs copains, font vrombir leurs motos sur une route de campagne non loin d’une intersection plutôt fréquentée. Avide d’adrénaline, Jojo se lance alors le défi de traverser l’intersection à fond les ballons, au risque de se prendre un véhicule. Quelle bonne idée. Supporté par ses comparses, seul Willy flaire l’énorme connerie et tente d’empêcher son ami de passer à l’acte. Mais Jojo et sa tignasse peroxydée démarrent à toutes berzingues avant que Willy n’arrive à les arrêter. On garde évidemment la suite de l’action sous silence pour maintenir le suspense.

En quelques minutes, le réalisateur parvient à nous donner une grosse suée, et laisse poindre un puissant aperçu de ses deux protagonistes principaux et du lien qui les unit. Antoine Chevrollier, par sa scène d’introduction, distille par ailleurs d’ores et déjà l’atmosphère ultra testostéronée, boursoufflée de masculinité toxique et d’enjeux virilistes dans le milieu sportif, qui plane ensuite sur l’ensemble de La Pampa. A travers les réactions de Willy et Jojo dans cette séquence se dessine d’autre part instantanément l’une des amitiés les plus émouvantes vue au cinéma depuis un long moment. Close de Lukas Dhont (2022) étant le dernier exemple qui me vient en tête spontanément.

Mascu, mascu, mascu dehors !

Près de deux ans et demi après la sortie de Rodéo de Lola Quivoron, Antoine Chevrollier prouve que le milieu du motocross dans le 7e Art en a encore sous le capot. Le titre du film, La Pampa, fait d’ailleurs directement écho au club de motocross dans lequel s’entraîne dur Jojo. Un club qui a bel et bien existé, hébergeant la première étape du Championnat de France de Supercross que le réalisateur a foulé dans sa jeunesse. Lieu central de l’intrigue, « La Pampa » devient progressivement le théâtre des différentes trajectoires des personnages. Un témoin silencieux de l’effervescence, des secrets et injustices dans un patelin rural isolé où les « qu’en dira-t-on » et la justice populaire priment, gangrenés par les codes virilistes et la toxicité masculine en place.

Par le biais de son cadre et de ses personnages, le réalisateur dépeint crûment les clichés et la violence normalisés qui entachent notre société, thèmes déjà centraux dans sa mini-série Oussekine. Les protagonistes masculins de La Pampa en prennent d’ailleurs tous pour leur grade. De Teddy (Artus Solaro, dans un contre-emploi épatant), coach de motocross taiseux et secret, à David (glaçant Damien Bonnard), paternel autoritaire et rabaissant de Jojo qui n’accepte pas son rejeton. Même Willy, et sa manie de gérer la frustration et la colère par le poing, passe sous les radars du réalisateur. Chevrollier trouve ceci dit un recul et un regard toujours justes et sans jugement sur ses personnages masculins, dont les pendants féminins (femmes, sœurs et amies) leurs permettent par moment d’effleurer une once de salut.

© Tandem

Sans (re)père

S’il est « couillu » par le milieu dépeint et ses protagonistes, La Pampa a surtout un cœur bouleversant. Derrière le thème en apparence central du film (qu’on ne vous dévoilera pas pour ne rien spoiler), Antoine Chevrollier dresse surtout le portrait de personnages exclus. Jojo l’est par son secret de Polichinelle, mais Willy l’est également. Rongé par le souvenir de son père défunt et le déménagement prochain de sa famille, le jeune homme campé brillamment par la révélation Sayyid El Alami (Oussekine, Leurs Enfants Après Eux) enquille mauvaises nouvelles sur violences et se retrouve sans repères, prisonnier de son isolement spatial, sociétal et culturel dont il souhaite s’extirper à tout prix.

Outre ce motif cher au réalisateur, La Pampa est un film qui dessine une histoire d’amitié aussi authentique et poignante que son duo central. Sans jamais forcer les émotions du spectateur, le réalisateur dirige d’une main juste et précise ses comédiens, dans une mise en scène aux couleurs lumineuses et chatoyantes et une bande originale planante signée par les frères Galperine, qui servent habilement de contrepoints aux propos du récit, bien plus sombres. Au plus près de ses personnages, par le biais de sa caméra portée et flottante aux allures presque arnoldiennes par endroit, Antoine Chevrollier se permet même un changement de point de vue aussi époustouflant qu’inattendu, qui vous laissera, comme moi, scotché.

Avec La Pampa, Antoine Chevrollier livre un buddy movie authentique et bouleversant sur fond de motocross qui hante longtemps après visionnage.

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