Deux années après son mélancolique La Villa, Robert Guédiguian réunit ses acteurs fétiches dans Gloria Mundi. Un drame marseillais plus désespéré que jamais.
Gloria Mundi s’ouvre par le baptême chrétien de la jeune Gloria, nouveau-née éponyme du film, et fille de Mathilda et Nicolas (Anaïs Demoustier et Robinson Stevenin). Pour un communiste convaincu comme Guediguian, ouvrir son film par une telle liturgie chrétienne, l’ironie est mordante. « Tout ce qui monte, converge » disait Pierre Teilhard de Chardin en 1947, pour résumer l’alliance des communistes et des catholiques dans la Résistance française. Les hommes de toutes croyances finissent par s’unir autour du Bien commun, par s’élever pour que l’Humanité triomphe, pensait-il.
Cette foi en l’humain malgré les épreuves, cette joie autour de l’enfant qui vient de recevoir la lumière, c’est l’élan d’espoir dont le film a besoin pour se lancer.
Ma ville tombe
Car Gloria n’est pas née sous une bonne étoile. Elle est née dans une ville de Marseille où dès la maternité, la drogue circule autour de son berceau, entre son père et Bruno (Grégoire Leprince-Ringuet), petit Rastignac-macroniste local. Robert Guédiguian était volontiers optimiste dans sa description de la cité phocéenne dans ses précédents films. Son Marseille d’opérette avait de l’espoir. Le Marseille de Gloria Mundi est extrêmement pessimiste. Comme si le réalisateur marseillais avait perdu ses illusions de lendemains qui chantent.
Guédiguian rassemble ses comédiens habituels dans un film choral attristé, comme le ferait un Lelouch dépressif, toujours rythmé par la formule efficace d’un aphorisme toutes les deux minutes. Sylvie, femme de ménage (Ariane Ascaride, primée à la Mostra de Venise) a élevé avec Richard, chauffeur de bus (Jean-Pierre Darroussin) ses filles Mathilda et Aurore (Lola Naymark). Daniel (Gérard Meylan) ex-conjoint de Sylvie et père de Mathilda, taulard de longue durée et poète à ses heures, sort de prison pour voir la petite Gloria. Il découvre un Marseille en ruines, littéralement – l’effondrement de la rue Noailles est passé par là – et figurativement – où tout le ciment social s’est désagrégé.
Cette famille décomposée, rongée par la culpabilité et les trahisons, a des allures de Rougon-Macquart du Vieux Port, plongée dans un drame naturaliste qui évoque bien plus Zola que Pagnol.
Marseille est malade
Comme dans le récent Ken Loach Sorry We Miss You, Guédiguian dénonce la libéralisation de l’emploi précaire. Egalement, le délitement du lien social et la perte de la plus élémentaire notion de solidarité. Il fait rimer les images de touristes fortunés qui visitent Marseille, avec celles de migrants, voyageurs d’un autre type, forcés de squatter les trottoirs.
Les gratte-ciels rutilants s’élèvent sur le front de mer, quand des quartiers populaires s’effondrent sous le poids de l’inaction municipale. Les prêteurs sur gages s’enrichissent sur le dos des plus pauvres. Le chauffeur de taxi agresse le chauffeur VTC. Les grévistes et les non-grévistes s’affrontent. C’est une ville à la dérive, qui dévore ses citoyens, où ses enfants s’entretuent. « Tu iras à l’école longtemps et puis tu seras au chômage » adresse un Gérard Meylan fataliste à la petite Gloria.
C’est une description de Marseille sans angélisme que livre Robert Guédiguian dans ce Gloria Mundi. C’est le cri de colère du poète amoureux de sa ville, qui n’en peut plus de la voir sombrer. C’est un réquisitoire terrible contre 24 années de Gaudinisme et de gabegie locale. « Ma ville tremble, ma ville est malade ; De Bonneveine jusqu’aux Aygalades » chantait Massilia Sound System. C’était en 1996, déjà.