Frankenstein de Guillermo del Toro : Le Roi des monstres

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Suite à sa relecture de l’Etrange Créature du lac Noir (avec La Forme de l’eau) et de Pinocchio, c’est à Frankenstein de passer entre les doigts de fées de Guillermo del Toro. Une adaptation à la hauteur de sa monstruosité.

Acclamé à la Mostra de Venise, Frankenstein consacre Guillermo del Toro au sommet de son art. Après trente ans de gestation, le cinéaste signe une œuvre totale, à la fois intime et baroque, où il revisite le mythe fondateur de Mary Shelley pour y insuffler ses obsessions : la filiation, la monstruosité, ou celui même d’un imaginaire dévasté lorsqu’il est privé d’amour. Entre introspection, romantisme et splendeur gothique, del Toro livre un autoportrait aussi grandiose que profondément humain.

« Victor Frankenstein (Oscar Isaac), un scientifique aussi brillant qu’égocentrique, donne vie à une créature (Jacob Elordi) dans le cadre d’une expérience monstrueuse qui mènera tragiquement le créateur et sa création à leur perte. »

© Netflix

Mythe fondateur

Les monstres sont au cœur de la vie de Guillermo del Toro. En recevant l’Oscar du meilleur réalisateur en 2018, il confiait : « Ils m’ont sauvé par deux fois la vie. » Une citation à prendre au sens littéral, car ces créatures rejetées, maudites ou incomprises ont façonné son imaginaire autant qu’elles l’ont épaulé. De ses terreurs nocturnes à ses nombreuses passes avec des producteurs véreux, les monstres lui ont toujours servi de béquilles, l’ont toujours ramené sur le ring.

S’il est un cinéaste qui a su donner au fantastique ses lettres de noblesse, c’est bien lui. Il était donc inévitable qu’un jour, il s’attaque au plus emblématique des monstres : Frankenstein, celui qu’il découvrit à sept ans précocement au cinéma avec sa grand-mère et qui ne le quitta plus jamais. Œuvre fondatrice, ce mythe irrigue toute sa filmographie : Hellboy, Crimson Peak ou Pinocchio en portent déjà les cicatrices.

30 ans que le projet lui trotte dans la tête. Alors lorsque Netflix lui donne carte blanche, Del Toro se jette sur l’occasion. Avec ses 120 millions de budget (deuxième plus gros chèque de sa carrière), le cinéaste va pouvoir donner chair à tous ses fantasmes. Résultat : son Frankenstein mélange avec brio l’intime au baroque, tout ça dans des décors gothiques qui pourraient facilement provoquer un syndrome de Stendhal.

À l’image du dernier Miyazaki, Le Garçon et le héron, ce film marque pour son auteur un tournant introspectif. Del Toro n’a plus rien à prouver. Tel Frankenstein, il ressort ses vieux outils, réarrange ses motifs et met un peu de colle par-ci par-là pour les réunir dans un geste total. Plus qu’une simple adaptation, Frankenstein devient alors son autoportrait, celui d’un artiste qui, en redonnant vie au mythe de Mary Shelley, trône à ses côtés dans le panthéon de la culture populaire.

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme

Nombreuses sont les adaptations qui ont été faites de ce classique littéraire éternel. Or lorsque Del Toro s’y attaque, il prend ses distances avec le film de James Whale et le maquillage mythique de Jack Pierce, ancré dans l’inconscient collectif, pour s’orienter vers un romantisme plus macabre, proche de l’esthétique de la série Penny Dreadful.

Avec Frankenstein, Guillermo del Toro revisite son propre rapport avec la création. Lui qui affirmait il y a quelques années encore qu’il fallait “croire en la magie pour la voir” livre ici un constat plus désenchanté : “il ne suffit pas d’y croire pour qu’elle existe”. L’imagination, sans amour, n’a plus de sens. Une idée qui traverse tout le film, notamment par l’arche du personnage de Victor, obsédé par son rêve de devenir l’égal d’un Dieu ; une idée superbement illustrée par la hauteur de son laboratoire ressemblant à une tour de Babel tutoyant les cieux. Un personnage qui se condamnera lui-même en refusant la seule chose qui aurait pu le sauver : aimer ce qu’il a créé.

Et si dans le livre, c’est la peur de Frankenstein qui convint la créature de son abomination ; chez le cinéaste, c’est la cruauté et le mépris du créateur qui amorceront le drame. Le cinéaste renverse les codes du roman de Shelley. Victor n’est plus un héros tragique mais une rockstar qui connaîtra la déchéance sous les flèches de son orgueil. C’est lui, cette fois, qui commet l’irréparable en assassinant la femme de son cousin avant son mariage, et non plus la créature qui, au contraire, avait fugacement appris ce qu’était la compassion à ses côtés. Del Toro reprend ainsi son éternelle marotte : prendre le parti du monstre. Il en fait même une “déité” de la forêt, un esprit protecteur.

© Netflix

IT’S ALIVE !

À l’image des morceaux cousus de la créature, les scènes du film s’agencent comme un puzzle pour donner vie à une fresque lyrique. On connait la minutie de l’auteur en ce qui concerne la direction artistique de ses films qu’il prend toujours soin de chérir et travailler au moindre détail. Et même si la post-production de Netflix et son étalonnage formaté ne rend pas service au film, le fera moins bien vieillir qu’un Labyrinthe de Pan et ces décors palpables, le film reste somptueux.

La photo de Dan Lausten offre au film cette atmosphère gothique et crépusculaire caractéristique. La musique d’Alexandre Desplat, singeant avec fougue les partitions si caractéristiques de la Hammer, donne un cachet indéniable à l’atmosphère globale et glaçante. Au même titre que la composition d’Oscar Isaac, en route pour les Oscars, et naturellement de l’étoile montante Jacob Elordi, prêtant ses 1m96 de charisme pour apporter une vraie présence et force physique au monstre, dernière touche qui vient sceller les murs de cet édifice à la splendeur funeste.

Finalement, le génie de Del Toro réside dans son talent à évoquer les sentiments qui tourmentent l’âme humaine. Frankenstein n’est ni bon ni mauvais, tout comme sa créature. La palette n’est ni noire ou blanche, mais plutôt d’une nuance de gris qui suit deux esprits tourmentés plongeant dans les abymes main dans la main. Ce monstre fatalement incompris qui depuis le départ ne demandait qu’un peu d’amour et d’attention n’aura eu pour réponse que violence et mépris. Un récit de vengeance à double voix qui n’est pas sans faire écho à The Last of Us 2.

Si Frankenstein est née du deuil de son autrice vis-à-vis de son enfant, pour Guillermo del Toro le film marque à l’inverse le nouveau-né d’une grande lignée d’avortons hétéroclites, celui qui a pris le meilleur de chaque pour faire coexister et consolider une œuvre à la richesse sans pareille. Un auteur que tout excite et inspire et qui, durant quelques années encore, saura, à coup sûr, nous émerveiller tout en nous divertissant.

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