Festival Cinéma du Réel 2023 : Nos 5 coups de cœur

Festival Cinéma du Réel

La 45e édition du Festival Cinéma du Réel vient tout juste de se conclure. Mêlant une nouvelle génération de cinéastes aux plus expérimentés, le festival a programmé des films qui n’ont pas eu de complexes à confronter documentaire, fiction et essai filmique.

Avec des œuvres aussi éclectiques dans leurs formes (pellicules, numériques, virtuelles…) que dans les pays représentés (20 films internationaux), le Festival Cinéma du Réel s’est conjugué au passé, au présent et au futur. Le prestigieux Grand Prix du Cinéma du Réel a été décerné à deux films exæquo : Coconut Head Generation d’Alain Kassanda et Up the River with Acid d’Harald Hutter.

En espérant que ces films puissent sortir en salles, voici nos 5 coups de cœur de la compétition !


1. Coconut head generation

Réalisé par Alain Kassada – Grand Prix du Cinéma du réel (Distribué par Ajímátí Films)

Tous les jeudis un groupe d’étudiants de l’université d’Ibadan, la plus ancienne université du Nigeria, organise un ciné-club, transformant un petit amphithéâtre en une agora politique où s’affine le regard et s’élabore une parole critique.

Filmer la politique ne suffit pas pour faire une œuvre engagée, encore faut-il penser son film politiquement. Sur ce point, Alain Kassanda excelle. Sa position de cinéaste, entre l’immersion et l’observation, se tient tout au long du film avec grâce. Il laisse ainsi le spectateur regarder la jeunesse nigérienne se lever, discuter féminisme, patriarcat, économie, état social… Le film, à travers les images du réalisateur et des manifestants, est aussi le témoin de l’immense répression de la police d’État. Non exhaustif mais d’une grande précision, Alain Kassanda livre un très grand film politique.


2. Allensworth

Réalisé par James Benning – Mention spéciale Jury longs métrages (Distribué par Galerie Neugerriemschneider)

Perdu au beau milieu de la Grande Vallée de Californie, le réalisateur filme le village d’Allensworth, fondé au début du XXe siècle par et pour des Noirs américains.

Construit autour de douze plans fixes, correspondant chacun à un mois, Allensworth nous offre une grande expérience immersive. James Benning souhaite faire éprouver le temps à son spectateur. Les plans, magnifiquement cadrés et d’une durée d’environ cinq minutes, sont ainsi faits pour que l’on s’y perde. La ville d’Allensworth fut l’une des premières villes afro-américaines du 20e siècle, mais suite à la Grande Guerre, les habitants la désertèrent petit à petit. Les marques de ce passé sont encore visibles. C’est grâce à la longueur des plans fixes qu’un semblant de vérité émerge. Le spectateur a ainsi le temps de scruter chaque détail et de remarquer, peut-être, que des traces de diligence sont encore formées sur le sol. Le film se conclut sur un magnifique plan Fordien d’un cimetière où persiste une unique pierre tombale. Bien que le passé soit enfoui, ses empreintes se lisent dans chaque coin du cadre.


3. Up the River with Acid

Réalisé par Harald Hutter – Grand prix du Cinéma du Réel (Pas encore de distributeur)

Deux jours dans la vie de Horst, père du réalisateur, dont la vie a pris un tournant décisif après une série de déclins cognitifs.

Filmé en pellicule 16mm, Up the River with Acid s’adapte au (non) rythme du père du réalisateur. Puisque ce dernier ne peut plus se raconter, ce sont les mots de sa femme, en voix off, et les images de son fils qui le font. Rappelant la trilogie paysanne de Raymond Depardon, Hutter laisse l’attente s’installer dans son film. Les plans sont ainsi fixes, longs, et souvent positionnés dans une pièce voisine à l’action. L’effet de surcadrage et d’éloignement permet, outre la beauté esthétique, de rester à distance du sujet, comme pour ne pas le déranger. Alors que les sens de son père disparaissent peu à peu, le réalisateur nous rappelle le simple bonheur de sentir le vent contre sa peau, d’observer un coucher de soleil, d’écouter le bruit de l’attente.


4. Navire Europe

Réalisé par Marina Déak (Distribué par Les films du Carry)

Dans une maison à Londres, la réalisatrice Marina Déak interroge sa grand-mère, Trude Levi, rescapée de la Shoah, sur son histoire. Il est trop tard, Trude est devenue une vieille femme, ses souvenirs sont épars, et émergent ici ou là. 

Quel plaisir de se faire surprendre au cinéma ! Le film semble d’abord être centré sur la grand-mère de la réalisatrice, ancienne déportée des camps de concentration. Très vite l’horizon s’ouvre. Non seulement la grand-mère est devenue trop âgée pour tenir un discours cohérent, mais la réalisatrice semble précisément se servir de ces nombreux silences pour élargir la thématique du film. Collage d’images toutes différentes, le film fait constamment communiquer le passé (celui de la grand-mère et de l’Histoire), le présent (les images filmées par la réalisatrice), et le futur (à travers la voix-off très littéraire prononcée par Marina Déak). Plus qu’un simple portrait, Navire Europe est un essai sur l’état du monde vu par la réalisatrice. Elle y livre ainsi ses constats, ses certitudes et ses interrogations.


5. Un Mensch

Réalisé par Dominique Cabrera (Distribué par Ad Libitum)

Dominique et Didier vivent ensemble. Tandis que la mort rode, Dominique filme les précieux instants d’un grand amour.

Dominique Cabrera est venu présenter deux films au cours de ce festival. Un Mensch en compétition officiel, et Bonjour Monsieur Comolli en séance spéciale. Le premier traite de son mari mourant  que la réalisatrice capture par les images pour garder la trace de sa présence. Le second relève d’une captation similaire, celle des derniers mois du réalisateur, critique et penseur, Jean-Louis Comolli. Les deux films suivent une forme différente. Un Mensch est filmé au téléphone et propose des tranches de vie. Bonjour Monsieur Comolli est plus « professionnel », peut-être moins instinctif. Toutefois, ils se rejoignent en étant le fruit de relations. Cela nous permet d’assister à des réflexions et des discussions saisissantes que les deux hommes offrent à la réalisatrice. Mais également à des regards que le cinéma n’a que trop peu montrés. Dans leurs yeux scintillent leurs dernières pulsions de vie et l’amour qu’ils portent à la réalisatrice.

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