Deux ans après son pamphlet contre Donald Trump BlacKkKlansman, le réalisateur Spike Lee sort son nouveau film, Da 5 Bloods, sur la plateforme Netflix, dans une actualité (inter)nationale brûlante.
Il y avait de quoi être enthousiaste. Après son très bon BlacKkKlansman en 2018, Spike Lee se proposait avec Da 5 Bloods, dans la même veine, d’écrire l’histoire afro-américaine de la guerre au Vietnam, à travers le récit d’un groupe de vétérans de retour au pays asiatique, sur les traces d’une fortune enterrée. D’une durée fleuve (deux heures et demi) le métrage avait tout pour devenir le film somme de Spike Lee : politique, historique, revendicatif.
Le réalisateur renoue avec la portée documentaire de son cinéma : lorsqu’une figure historique est mentionnée, son portrait apparait à l’écran, et il utilise à plusieurs reprises des images d’archives. Mais même dans son intrigue, Lee reprend l’imagerie des films de guerre au Vietnam, Apocalypse Now en tête, parsemant le récit de références plus ou moins subtiles. Le but est évident : ajouter au livre d’image des films de guerre américains l’histoire afro-américaine. L’intention est intéressante, d’autant plus que la mise en scène du cinéaste marche plutôt bien lorsqu’il s’agit de lier sa fiction à un aspect documentaire.
Et pourtant, Da 5 Bloods est une immense déception. Une déception qui nous fait dire que Netflix ne sait pas produire de films. Car si la patte de Spike Lee se ressent, parfois pour le meilleur, parfois pour le pire, il est assez évident qu’un bon producteur aurait pu, sinon régler tous les problèmes, au moins limiter les dégâts. Déjà, pour un film d’une telle envergure, qui narre un récit croisé intégrant des scènes de guerre, force est de constater que le budget n’est pas à la hauteur. Et Spike Lee n’en démord pas. Plutôt que de redoubler d’ingéniosité en ce qui concerne les scènes d’action, le réalisateur semble ne pas se soucier des limites financières.
Résultat évident : le tout est très laid, parfois presque nanardesque. Les personnages, pourtant présents dans deux temporalités séparées de plus de cinquante ans, sont joués par les mêmes acteurs, ce qui pose de gros problèmes narratifs. Et outre quelques idées intéressantes de mise en scène, qui nous font définitivement penser qu’on passe à côté de quelque chose, la réalisation est en pilotage automatique, quand elle ne brise pas des règles pourtant évidentes du cinéma, comme dans cette scène de champs/contre-champs illisible en début de métrage.
Cette négligence dans la mise en scène est d’autant plus surprenante que Spike Lee a beaucoup de choses à nous dire : le traitement des soldats afro-américains, hier et aujourd’hui, les rapports entre la communauté Afro-Américaine et les combattants du Viet-Cong, l’histoire des mouvements pour les droits civiques… le propos finit par devenir assez confus. Et même lorsqu’il tente d’apporter des nuances de points de vue, Lee s’avère moins subtil qu’avec BlacKkKlansman.
Dans ce dernier, le personnage principal, Ron Stallworth est un jeune homme afro-américain qui s’engage dans la police afin de changer les choses « de l’intérieur », malgré les convictions de Patrice Dumas, l’activiste qu’il fréquente, et qui ne voit pas les choses de la même façon. Les discussions entre les deux personnages, et les interrogations de Ron apportent une nuance et des possibilités de lecture qui enrichissent l’œuvre. Dans Da 5 Bloods, on se demande vraiment où veut en venir Spike Lee. L’un de ses personnages afro-américains vote Trump. Son fils s’énerve face à des français en affirmant que sa communauté n’a pas voté Trump. En fait, le film part dans de nombreuses directions, ouvre plusieurs portes intéressantes, mais n’en franchit aucune, si bien qu’il faut une bonne trentaine de minutes pour comprendre où il va : nulle part.
Même l’intégration des séquences documentaires, que nous décrivions volontiers comme l’un de ses points forts de cinéaste, sont moins efficaces que dans son œuvre précédente. Là où la dernière séquence de BlacKkKlansman permettait de faire le lien entre l’intrigue et le réel, nuançant grandement la happy end finale, au point de marquer le spectateur par un effet de contraste, Da 5 Bloods choque en montrant des images difficiles… au tout début du film. Impossible alors de surprendre le spectateur ensuite, puisqu’on lui a déjà montré l’horreur.
En bref, et c’est très frustrant au cours du visionnage, Da 5 Bloods est l’un de ces ratages de Spike Lee, décidément capable du très bon comme du très mauvais. Plein de bonnes intentions, le film ne sait pas ce qu’il veut raconter, ni comment le raconter. Restent heureusement, pour occuper les deux heures et demi de métrage, quelques trouvailles ici et là qui nous laissent entrapercevoir ce qu’aurait pu être ce film avec un Spike Lee plus en forme, et un producteur impliqué dans le projet.