En matière de complot, on observe souvent deux comportements chez nos compatriotes : ceux qui en voient partout, et ceux qui n’en voient nulle part. C’est le sujet de Boite Noire.
Le cinéma d’espionnage, depuis Fritz Lang (Dr Mabuse, 1922) jusqu’à Ron Howard (Da Vinci Code, 2006) en passant par Sydney Pollack (Les 3 jours du Condor, 1975) a largement bâti sa popularité sur les théories complotistes, parfois avérées, souvent fantasmées. Avec Boîte Noire, fraîchement auréolé du Prix du Public au Festival du Film Policier de Reims 2021, le réalisateur Yann Gozlan scrute les secrets acoustiques d’une machination aéronautique.
Mathieu Vasseur (Pierre Niney) est un expert du BEA, le bureau d’enquêtes pour la sécurité de l’aviation civile. « Oreille d’or », il est capable d’analyser les accidents d’avion sur une simple écoute spectrale, et d’établir avec précision les causes de la défaillance. Lorsque le vol Dubaï-Paris se crashe, Mathieu est naturellement en première ligne pour analyser les boites noires. Exposé, il est rapidement écartelé entre les conflits d’intérêts et les jeux d’influences entre son supérieur au BEA (André Dussollier), son ami de promotion et responsable de la sécurité de l’avion (Sébastien Pouderoux) et même sa propre femme (Lou de Laage), ingénieure récemment embauchée par l’avionneur à un poste à responsabilité. Il réalise alors que les murs ont des oreilles.
J’aime le bruit blanc de l’eau
Après le récent et réussi, Le Chant du Loup (Antonin Baudry, 2019), le cinéma hexagonal se ferait-il une spécialité du thriller auditif ? Popularisé hors de nos frontières par, entre autre, les classiques Conversation Secrète (Francis Ford Coppola, 1974), Blow Out (Brian de Palma, 1981) ou encore La Vie des Autres (Florian Henckel von Donnersmarck, 2006), la France n’avait pas spécialement brillé dans le thriller auditif ou l’espionnage sonore. Hormis peut-être sous la présidence de François Mitterrand, quand l’Élysée avait mis sous écoute la moitié du pays, dont notre James Bond Girl nationale Carole Bouquet – une barbouzerie digne d’OSS 117.
Boite Noire, solidement documenté, nous place donc au cœur de l’enquête sur les causes d’un crash et de leurs responsabilités sous-jacentes, à travers l’écoute des boites noires enregistreuses des données de vol. Le scénario nous ramène inévitablement dans l’actualité avec les crashs récents du Boeing 737 Max, celui du vol Air France Rio-Paris, ou encore les attentats islamistes du World Trade Center. Qui a fauté ? L’avionneur ? L’organisme de certification ? Les pilotes ? Et si, finalement, tout ce petit microcosme était complice ? Volontairement paranoïaque et usant du trope du « héros contre le système », Boite Noire tâche de montrer les collusions au sein de ce milieu endogamique, où tout le monde se connait, sort des mêmes écoles, fréquente les mêmes cercles. En ressort une forme de tranquille normalité de la conspiration, crédible car dépourvue d’extravagants illuminatis ou autre lobby aéronautico-maçonnique.
Vol 714 pour Niney
Si l’écriture est réussie, la mise en scène, appliquée, ne ménage pas non plus sa peine et multiplie les mouvements d’appareil – dont un très beau travelling circulaire que ne renierait pas De Palma. Elle est servie par une photographie de Pierre Cottereau (déjà vue sur Le Chant du Loup), rappelant volontiers le travail de Cronenweth chez David Fincher. Mais c’est surtout l’habillage sonore qui impressionne, et immerge les spectateurs que nous sommes dans l’enquête policière. Une aubaine, tant les bruits et les silences, qui dictent à la fois l’énigme du crash et sa solution, constituent le centre du film, l’élément moteur de sa narration et de son action.
Pierre Niney, ombrageux, idéaliste et obstiné, donne une dimension supplémentaire à ce rôle austère, à la fragilité soigneusement écrite. Si le suspense est au rendez-vous et la tension présente, on pourra toutefois regretter que le film ne quitte que tardivement sa salle d’écoute – pour un dernier segment aussi poisseux que tendu – ce qui nuit quelque peu à son ampleur et à son spectacle.
En somme, porté par d’excellents acteurs et une réalisation de qualité, rehaussé de références de bon ton, Boite Noire ne déçoit pas, et convaincra les spectateurs complotistes comme les gens normaux.