20 000 espèces d’abeilles de E. U. Solaguren : L’Esprit de la ruche

Solaguren 20000 espèces d'abeilles

Après avoir chamboulé notre expérience au Festival Cinemed, 20 000 espèces d’abeilles se dévoile au grand public dès le 14 février, pour notre plus grand bonheur.

Si cette date rimera pour beaucoup avec célébration de l’amour, c’est pourtant vers Cocó que notre cœur penche. Premier long métrage de sa réalisatrice, Estibaliz Urresola Solaguren, 20 000 espèces d’abeilles se place au centre d’une nouvelle génération qui crie tout haut son envie de changement. Alors qu’Aftersun contractait nos estomacs en février 2023, cette année, c’est dans la campagne basque que nos émotions vont être mises à rude épreuve.

“Cocó (Sofía Otero), huit ans, a bien du mal à savoir qui elle est. Au cours d’un été passé parmi les ruches du Pays Basque, elle éveille sa singularité au sein des femmes de sa famille, elles-mêmes en proie au doute. Dans un monde où il existe 20 000 espèces d’abeilles différentes, il existe forcément une identité qui corresponde à Cocó…”

(c) jour2fête

L’âge de l’insouciance

À peine sortis du vent glacial de janvier, Estibaliz Urresola Solaguren rentre dans lignée des réalisatrices espagnoles qui nous plongent au cœur des vacances d’été. Après Clara Roquet (Libertad) ou encore Carla Simón (Été 93), elle vient insuffler un nouvel élan de fraîcheur dans ce format si immersif et dépaysant, aux lumières mielleuses.

Alors, sous le soleil frappant, nous suivons les activités de Cocó, à hauteur d’enfant. Avec une caméra au plus proche de son personnage, les émotions retranscrites ne se distinguent plus des nôtres. À travers son regard aussi curieux que blessé, nous observons imprudemment par les vitres et écoutons à travers les portes. Sans qu’aucune musique ne vienne interpréter ou appuyer ses sentiments, nous suivons ce personnage sans chercher à le juger. Mission complexe lorsqu’il s’agit de construction d’identité, là où chaque personne construit son chemin propre à elle même.

Confrontée à un environnement qui ne lui est pas si familier, dans une situation ambiguë où les non dits s’éparpillent, Cocó ne trouve pas sa place. L’éloignement de la ville et des obligations scolaires devraient pourtant lui permettre de se révéler au grand jour, retirant ainsi sa carapace. Pourtant, le cadrage resserré ne laisse passer d’oxygène, enfermant son personnage entre 4 murs.

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Comme un besoin d’air…

Et qui dit retour aux sources, dit aussi cloisonnement aux traditions. La réalisatrice parle de « sanctions sociales ». Là où la nature et la famille importent plus que tout, s’établissent aussi des rapports de pouvoir au travers desquels il est difficile de s’assumer.

Plus qu’un discours sur l’enfance ou sur l’identité de genre, le film offre aussi une vision des différents générationnels. Ce n’est pas seulement le regard de Cocó qui nous est offert, mais aussi celui de sa mère qui n’aura jamais vraiment su trouver sa place. Étouffée par la présence de la religion ou la carrière de son père, elle a beau vouloir le meilleur pour ses enfants, elle ne parvient pas à se l’offrir elle même. C’est alors à travers des dialogues de sourds que se fragilise la relation avec ses proches. Et c’est tout ce qui fait l’équilibre du film, le dosage entre ces relations instables et notre proximité avec les personnages dans leurs moments de solitude et d’intimité.

En plus de s’intégrer dans une nouvelle génération de réalisatrice engagée, Estibaliz Urresola Solaguren dresse un portrait de la campagne basque stagnante. Là où l’on tente d’ouvrir les voies, notamment à travers le cinéma, la division générationnelle se fait encore sentir.

L’art de donner à voir

Mais l’espoir est loin d’être perdu. En plus d’avoir conquis le public du Festival Cinemed (qui lui aura décerné un prix), le film a su enchanter la Berlinale. C’est avec le prix de meilleure actrice que repartira la jeune Sofía Otero, alors à peine âgée de 9 ans.

C’est d’ailleurs tout l’avantage de nous plonger dans un regard d’enfant, que d’aller trouver toute la vulnérabilité et l’honnêteté qui se trouve en eux. Et si le titre peut nous faire craindre un énième récit sur le lien entre l’humain et l’animal, il se chemine pourtant un sens à travers son histoire.

Si les abeilles créent instinctivement un sentiment de crainte, c’est également ce que crée Cocó rien que par sa présence. Lorsque ce ne sont pas ses cheveux longs qui lui sont reprochés, c’est son surnom ou ses tenues. Seule la tante apicultrice, habituée au rejet, l’aidera à reprendre son souffle.

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En admettant que 20 000 espèces d’abeilles nous apprenne à garder notre calme, Cocó prouve que l’identité est une matière qui se module aussi bien que la cire.

Alors, il faut la prendre entre ses mains, la caresser, arrondir ses angles, mais l’important est de lui prêter attention. Et sans tirer de grandes leçons, Estibaliz Urresola Solaguren vient ainsi nous présenter une des œuvres les plus humbles et bouleversantes de l’année.

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