Zorro de Benjamin Charbit et Noé Debré : Le Masque et la rouille

Après plus d’un siècle d’aventures sur papier et sur nos écrans, Zorro fait son grand retour sous les traits de Jean Dujardin dès le 6 septembre sur Paramount+. Mais le célèbre justicier masqué a-t-il encore quelque chose à raconter ?

Attendue au tournant, la série Zorro espère rassasier les fans de cet anti-héros légendaire comme les amateurs de cape et d’épée. Avec son casting attrayant et son budget coquet, la série créée par le scénariste Benjamin Charbit (En Liberté !, Gagarine) et le réalisateur Noé Debré (Le Dernier des Juifs) a sur le papier tout pour attirer les foules. Et faire oublier la bien fade série Zorro de Carlos Portela, sortie en janvier sur Prime Video. Pourtant, malgré ses têtes d’affiche impeccables et sa mise en scène efficace, cette adaptation moderne made in France peine à convaincre pleinement.

« En 1821, Don Diego de la Vega (Jean Dujardin) devient maire de sa bien-aimée ville de Los Angeles. Cependant, la municipalité est confrontée à des problèmes financiers du fait de l’avidité d’un homme d’affaires local, Don Emmanuel (Eric Elmosnino). Diego n’a pas fait appel à son double Zorro depuis vingt ans. Mais au nom de l’intérêt général, il n’a plus d’autre choix que de ressortir son masque et son épée. Très vite, Diego va rencontrer des difficultés à concilier sa double identité de Zorro et de maire, ce qui met à rude épreuve son mariage avec Gabriella (Audrey Dana), qui ignore son secret. »

© Paramount+

Souvenirs, souvenirs

Ma déception face à cette nouvelle adaptation vient sans conteste du fait que j’ai été biberonnée à la toute première série télévisée tournée sur Zorro, sobrement intitulée Zorro, produite par les studios Disney avec Guy Williams dans le rôle titre. Alors non, je ne suis pas née dans les sixties. Mais si tu as grandi dans les années 1990-2000, toi-même-tu-sais que cette série était régulièrement diffusée en fin de semaine par France Télévisions dans sa version colorisée, et tu n’as pas pu oublier son générique légendaire. Le Don Diego de la Vega, aka Zorro, de mon enfance est donc associé à cette version du personnage. Un protagoniste charmant, gentil, parfois impulsif et pince-sans-rire, et en galère face aux jeunes femmes qu’il rencontre.

Quant aux autres personnages emblématiques, j’étais tout particulièrement attachée à Bernardo, campé par Gene Sheldon, et le Sergent Garcia, interprété à l’époque par Henry Calvin. Le premier, fidèle serviteur de Don Diego, est le seul à connaître le secret de son maître. Protagoniste malin et muet, il se fait passer pour sourd pour mieux collectionner les commérages et les rapporter à Don Diego. Le Sergent Garcia est quant à lui l’atout comique de la série. Accro à la bouteille et aux maladresses, cet attachant et gentil bonhomme a du mal à mettre à exécution les ordres qu’on lui donne et valide secrètement les agissements de Zorro. Je m’attendais donc à retrouver les traits principaux de ces personnages dans cette nouvelle adaptation, qui semble s’inscrire dans la continuité de cette série culte. Mais que nenni.

Don Jean de la Bath

Dans le Zorro de Debré et Charbit, le personnage titre se mue régulièrement en un OSS 117 catapulté dans le Los Angeles des années 1820. Jean Dujardin, si bon soit-il en Hubert Bonisseur de la Bath ou Noël Flantier, lutte ici constamment pour ne pas user des mimiques qu’on lui connaît tant. Et pourtant, les dialogues comme les situations font difficilement oublier l’espion sous le justicier masqué. Le parti pris de rendre ce héros gauche et parfois idiot aurait pu être attrayant s’il n’avait pas relayé au second plan l’ensemble des autres protagonistes. A commencer par Bernardo (excellent Salvatore Ficarra), et surtout le Sergent Garcia (également campé avec brio par Grégory Gadebois).

Si le personnage de Zorro et le jeu de Dujardin sont largement mis en avant dans la série, cela fait dysfonctionner la dynamique globale avec les autres protagonistes. Bernardo est cantonné à son rôle de serviteur muet (mais plus sourd), tandis que le Sergent Garcia perd sa place d’élément comique. Ce dernier n’est plus qu’un représentant de l’ordre obsessionnel et benêt, laissant toute la place au héros surgissant hors de la nuit. Vous êtes en droit de me trouver aigrie, mais il me semble finalement que la série s’adresse plutôt à un public ne connaissant pas Zorro et admirant le talent comique (indéniable, certes) de Jean Dujardin, laissant de côté les fans du personnage crée en 1919 par Johnston McCulley, comme moi.

© Paramount+

Zorro, pas zéro

Passé le cap de la réécriture des personnages (et pourquoi pas après tout), je me suis plongée dans la série en tentant de dompter mes attentes initiales. Le casting s’éclate totalement, et ça se sent. D’Elmosnino en homme d’affaires véreux à Dujardin en homme tiraillé entre ses deux facettes qui mettent son mariage en péril, en passant par Audrey Dana dans les traits de la femme de Don Diego, bien décidée à faire plus de parties de jambes en l’air et à manier l’épée. Les comédiens sont tous impeccables dans leurs rôles et s’adaptent parfaitement à l’écriture, souvent moins poussive que celle de Zorro, de leurs personnages. Mais Zorro vaut surtout le détour pour sa mise en scène énergique. Des décors solaires et poussiéreux aux séquences maîtrisées de bastons à coups d’épées, la scénographie rend un joli hommage aux adaptions précédentes.

Les péripéties et les bobards, quant à eux, frisent souvent l’invraisemblance. Pourtant, ils font paradoxalement le charme de la série, appuyant l’entonnoir émotionnel et incongru dans lequel s’engouffrent progressivement Don Diego et son double. Par ailleurs, les paysans indigènes finissent par se rebiffer plus que dans les versions antérieures. Et c’est plus que bienvenu ! Héritage d’une représentation acceptable du passé de la Californie, Zorro reste une nouvelle fois assez évasif dans l’histoire de cette contrée. Pour rappel, elle fut espagnole puis mexicaine, avant d’être annexée par les États-Unis en 1848. L’univers de Zorro charme toujours mais rouille pourtant beaucoup. On a la sensation que tout a déjà été raconté malgré sa modernisation au gré des adaptations. La dualité entre Don Diego et Zorro est ici poussée à son maximum, et tourne rapidement en rond. Celui qui court vers l’aventure au galop aurait-il besoin d’une petite retraite ? Rien n’est moins sûr.

Malgré sa distribution artistique et sa mise en scène épatantes, Zorro pêche par le traitement de ses personnages et son récit inégal qui nous laissent penser que l’iconique Zorro est peut-être arrivé en bout de course.

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