Zion de Nelson Foix : A bout de souffle

Zion nelson Foix

Ces derniers mois marquent une légère résurgence du cinéma mobilisant des récits venus des DROM-COM. Après Marmaille qui se déroule à la Réunion, et Magma qui utilise la Guadeloupe pour faire un film catastrophe, c’est au tour de Nelson Foix de se rendre sur l’île aux papillons pour livrer Zion, un thriller à la réalité âpre mû d’un symbolisme profond.

Après Timoun Aw, son premier court-métrage très remarqué qui lui valu d’être en lice pour le César du Meilleur Court-Métrage en 2022, le réalisateur Nelson Foix adapte et transpose son récit au format long sur grand écran. Zion réussit-il à transformer l’essai ? Verdict ci-dessous.

« En Guadeloupe, Chris partage son temps entre deals, aventures sans lendemain et rodéos en moto. Repéré par Odell, le caïd du quartier voisin, Chris se voit confier une livraison à risque. Malgré la mise en garde de son meilleur ami, il accepte la mission. Mais le jour de la livraison, il découvre qu’un bébé a été déposé devant sa porte. Commence alors pour lui, une course infernale qui le mènera à un choix crucial.. »

Zion chris moto © The Jokers Film
© The Jokers Film

An vlé pa mo adan bando

Le mot « bando » vient de l’argot américain et désigne une maison abandonnée, souvent utilisée comme lieu de consommation de drogue. Il s’est étendu à des quartiers insalubres ou le deal règne en maître. C’est dans ces conditions que l’on fait la connaissance de notre héros, représentatif d’un bon nombre de jeunes des Antilles-Guyane. Désœuvré, et un brin irresponsable, il rêve d’un avenir meilleur. Les conditions de vie sont difficiles mais sa passion manifeste pour la moto l’aide à tenir.

C’est cette passion qui va d’ailleurs le pousser à un pacte faustien malgré les avertissements de son meilleur ami. Mais quand le chant des sirènes se fait plus fort que la raison et que la situation sociale ne permet pas de se projeter, comment résister ? Un dispositif narratif simple et efficace, où la moralité du personnage et ses actions vont brutalement être chamboulés par l’arrivée d’un nourrisson anonyme déposé devant sa porte. Jusqu’ici, les bases posées dans Timoun Aw sont respectées.

L’odyssée de Chris 

L’arrivée de ce bébé dans un cabas (tout est dit avec cette image) est le catalyseur d’un dilemme moral et existentiel pour Chris, qui va essayer de tout concilier, causant ainsi une descente aux enfers qui n’a de cesse d’empirer. Dès lors, courses-poursuites, braquages et scènes de gunfights nous agrippent à nos sièges tant on craint pour la sécurité de notre héros et du petit ange dont il a la responsabilité.

La paternité va dès lors devenir le fil d’Ariane de Chris, qui va peu à peu prendre conscience de ses responsabilités sans pour autant tomber dans une mièvrerie inopportune. Au contraire, c’est dans la douleur causée par ses choix et les retrouvailles d’un amour paternel renié que Chris trouvera sa rédemption. Un voyage initiatique soutenu par l’idée de la transmission familiale, culturelle et spirituelle. La magnifique séquence de fin vient achever le propos en faisant triompher l’innocence  face à l’âpreté du monde.

Zion bébé cabas
© The Jokers Film

Aurore et crépuscule

Avec force, Nelson Foix assume son héritage cinématographique en provenance des films hood (La Haine, Boyz n the Hood, Mon Nom est Tsotsi) livrant un film où la moiteur nocturne typique du pays se mêle à la moiteur des corps filmés de près. L’environnement de jungle urbaine aux accents oniriques, avec ses teintes bleutées et verdâtres, est lui aussi subliment capturé par le chef-opérateur Martin Laugery.  L’immersion est totale grâce à un univers visuel léché, mais également sonore, entre tradition et modernité. Ainsi, les scènes sont rythmées par de nombreux titres de dancehall portés par des artistes comme Fuckly, Bamby, Jahyanai, ou Admiral T, des ad-libs de Kalash sur de sublimes plans d’ensemble et la pratique du gwoka.

Là où le bât blesse, c’est dans l’exécution narrative du film. Si son récit est plutôt solide, il ne réussit pas à éviter certaines facilités scénaristiques, et finit par s’alourdir en raison d’un symbolisme criard. Tout un pan de la trajectoire émotionnelle de Chris lié à un trauma du passé est d’ailleurs sous-exploité et flottant, donnant lieu à un troisième acte maladroit et moins intense. Un petit hors-piste qui n’entame qu’en partie le plaisir que l’on prend à regarder le film. 

Apparences trompeuses

La forme du thriller permet au spectateur d’épouser le parcours chaotique de Chris à travers l’île aux papillons tout en glanant des informations sur la situation politique et sociale d’un pays au bord de l’éruption. Que ce soit via la radio, des discussions dans la rue, ou au détour d’un simple plan, Nelson exploite le médium cinématographique et ses personnages secondaires au maximum pour évoquer la guerre des gangs, le néo-colonialisme français, les affrontements contre les forces de l’ordre ou encore le manque d’eau potable et les manifestations contre la vie chère. 

Une réalité bien loin des apparats servis par les médias et qui permet aux spectateurs de découvrir un aspect plus cru, où la violence fait partie intégrante du quotidien des Guadeloupéens. Entre stupéfaction et identification, les spectateurs ne ressortent pas indemnes et en parlent autour d’eux.  Le succès du film aux Antilles-Guyane, où il est sorti en avant-première, est révélateur : Zion a réalisé  un démarrage historique​, avec plus de 65 millions d’entrées sur (seulement) 7 copies en deux semaines. Reste à savoir si la population de la France métropolitaine se rendra elle aussi dans les salles obscures, elle qui est si friande de coming-of-age et de polars, mais qui peut hésiter à donner sa chance à de nouvelles propositions.

Avec son premier long-métrage, Nelson Foix livre une histoire à la croisée du film noir et du coming-of-age en convoquant le lore d’un pays à la beauté fracturée. L’innocence d’un enfant face au chaos de ce monde interroge sur la possibilité d’échapper à un destin tracé et la possibilité de devenir quelqu’un de meilleur pour soi et pour les autres. Une introspection intime qui devient collective et universelle.

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