Luis Buñuel a traversé cinq décennies de cinéma et trois pays. La vie criminelle d’Archibald de la Cruz est un des nombreux films qu’il réalisa durant son exil au Mexique, fuyant la dictature franquiste. Dans la continuité de Los Olvidados (1950) et d’On a volé un tram (1953), le film s’inscrit dans un naturalisme laissant exploser la folie de son personnage. Réalisme et fantastique s’allient pour former un ensemble aussi complexe qu’évident.
Archibald de La Cruz, enfant de la haute bourgeoisie, se voit offrir une boîte à musique par sa mère. Il découvre que cet objet magique lui donne le pouvoir de tuer par la seule pensée. Durant la Révolution mexicaine, sa maison est pillée et la boîte disparait. Adulte, Archibald la retrouve et ses délires meurtriers reprennent, oscillant constamment entre rêve et réalité.
Pour un cinéma entomologique
Dans la lignée de Robert Flaherty, Luis Buñuel s’intéressa à la communauté des Hurdanos dans son film ethnologique Terre sans pain (1932). En filmant hommes et femmes comme des insectes, ce documentaire témoigne du caractère entomologique (l’étude des insectes) inhérent au cinéma du réalisateur. En ce sens, L’Âge d’or (1930) s’ouvrait déjà sur une étude précise d’un scorpion et de son fonctionnement. C’est dans cette même volonté que Buñuel filmera son personnage, Archibald de la Cruz.
En effet, le film peut se voir comme un essai scientifique sur le fonctionnement psychologique d’un tueur en série, filmé comme un insecte. Archibald n’agira ainsi que par instinct, délaissant toute morale. Prenant du plaisir à imaginer des scènes d’assassinats, ce personnage répond à ses désirs primaires. C’est la vue du sang qui réveille en lui l’obsession du meurtre, tout autant que celle des flammes. À l’instar des insectes, ses pulsions guident ses actes. La mise en scène, d’une grande sobriété, accompagne l’étude entomologique en présentant la folie du personnage à travers peu d’artifices cinématographiques. Archibald est ainsi filmé de façon semblable à celle du groupe de jeunes hommes de Los Olvidados.
La critique discrète de la bourgeoisie
Bien que Luis Buñuel se concentre principalement sur son personnage et sa folie, il n’en oublie jamais ses propres obsessions, celles de montrer continuellement les liens de pouvoir et de domination qu’exercent la bourgeoisie et l’église. Le film débute donc sur un fond de Révolution mexicaine. Les affrontements se déroulent sous sa maison, cependant, Archibald n’en tient que très peu compte, tout comme ses parents. En effet, ces derniers s’impatientent de l’arrivée de l’armée qui leur permettra de retourner au théâtre et de reprendre leurs activités mondaines. C’est dans cet héritage que grandira Archibald, coupé du monde extérieur. C’est d’ailleurs le patrimoine de sa mère qui causera sa folie, la boîte à musique appartenant à sa famille depuis des générations. Comme toujours dans les films de Buñuel, la bourgeoisie agit pour garder ses privilèges, coûte que coûte.
Les liens de cette élite avec la religion sont explicites lors du mariage d’Archibald. On peut ainsi y entendre un homme d’église dire combien il s’émeut dans ces cérémonies religieuses, concluant que les parades militaires ont sur lui le même effet. La bourgeoisie embrasse donc la violence pour assouvir sa domination. Archibald serait ainsi la synthèse de ces deux corps sociaux. Il domine par sa position sociale, et décide, tel un dieu, de la vie ou de la mort d’autrui.
Toujours sous fond de critique sociale, Luis Buñuel livre une œuvre d’une grande maîtrise avec La vie criminelle d’Archibald de la Cruz. Ce film entomologique sur le fonctionnement psychologique d’un assassin ressortira en salles le 27 avril dans une version restaurée qui ravira les admirateurs du cinéaste, mais aussi tous ceux qui souhaiteraient le découvrir.
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