Vampyr de Carl Theodor Dreyer : 91 ans et toutes ses dents

Vampyr Dreyer

Le premier octobre dernier s’est réveillé sur MUBI le film monstre de Carl Theodor Dreyer, Vampyr (1932). Désormais proche du siècle d’existence, est-il aussi immortel que la créature éponyme ?

Tuons d’entrée tout suspense : la renommée de Vampyr, certes éclipsée par Nosferatu (1922) de Murnau, n’est pas usurpée et la maîtrise du réalisateur danois transparait bien au coeur de l’épouvante. Et les sorties récentes de plusieurs films de vampire (El Conde de Pablo Larrain ou Renfield de Chris McKay) prouvent à tout sceptique que même si l’image du vampire peut souffrir de redites, sa présence dans notre imaginaire ne s’en trouve nullement estompée.

“Allan Gray (Nicolas de Gunzburg), un jeune homme fasciné par le monde surnaturel, et notamment par les vampires, se rend dans un petit village où il sent une force inquiétante s’abattre sur lui. Il y rencontre un vieil homme (Maurice Schutz) qui lui demande de protéger ses deux filles (Rena Mandel et Sybille Schmitz), car l’une d’elles a été mordue par un vampire…”

Dans un cadre serré et sombre, le visage d'une jeune femme se dessine. Elle semble endormie, presque morte, elle est sur le dos. Seul son oeil gauche est ouvert. Sans pupille, il semble tout de même nous fixer.
©IMDb

La roue dentée du progrès

Vampyr continue, sur la lancée du précédent film de Dreyer, d’évoluer en même temps que son médium. Si dans La passion de Jeanne d’Arc (1927), l’absence de voix était involontaire, sa présence est ici distillée dans le jeu de ses acteur.ices. L’onirisme macabre, déjà visuel dans son manque de contrastes dû à une réflexion inattendue sur l’objectif, s’en voit renforcé. 

Ces surprises formelles, même si bien utilisées, sont évidemment déstabilisantes. L’expérience globale s’en trouve alternativement magnifiée ou gâchée, par ce qui peut s’apparenter à une proposition hasardeuse.

Le cinéaste semble jouer avec des codes qui auraient pu le dépasser. Mais il se les approprie pour, y mêlant ses connaissances, rendre son objet filmique plus puissant, et singulier. L’héritage du cinéma muet, qui dans ses silences pouvait laisser transparaître jusqu’à la comédie, ne laisse ici passer qu’une forme de sidération béate, à l’image de son protagoniste qui semble flotter au sein du film dans une incompréhension Lovecraftienne.

Onirisme et croque-madame

Par cette rigueur visuelle, le réalisateur arrive à se détacher des canons expressionnistes ou gothiques, pourtant raccords avec son univers. Dans une attention toute particulière à l’architecture des bâtiments et de son image, Dreyer dresse ses plans d’une verticalité que ne renieraient pas les peintres de Capricci. Mais à la place de marbres, on ne trouve qu’aplats gris en extérieur, et bois sombre, écorché, en intérieur.

Ce rapport à l’étrange et l’austérité, que peut amener le proto-brutalisme de certains plans, fait partie de l’ensemble des détails plus ou moins discrets que parsème le réalisateur au long de son film. L’attaque de la jeune fille n’est au final qu’une incursion verbale de l’horreur dans un film d’épouvante. Peu nous est montré directement et, pourtant, nous n’en ressentons pas moins.

Un garde s'ennuie, assis sur un maigre banc de bois, le fusil négligemment posé à sa gauche. Son ombre, elle, projetée sur un mur de pierre lisse et froide, s'apprête à poser son fusil : elle est debout face au banc. Mais son propriétaire ne la voit même pas, à la manière de l'oeuvre de Rodin, le menton plongé dans la main, il reste pensif.
©IMDb

De ce fait, Vampyr fait partie, avec Nosferatu de Murnau et Dracula (1932) de Tod Browning, d’une certaine trinité du film de vampire d’avant-guerre. Il en est l’exemple le plus angoissant, peut-être le moins retenu, mais certainement pas le moins ambitieux. Et, presque cent ans après sa naissance, il se réveille, toujours aussi puissant et terrifiant.

Disponible en streaming sur Mubi

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